Un divertissement décomplexé en dehors de la franchise

Alors que la saga Alien était conclue maladroitement avec Alien 3, elle fait son grand retour pour le moins inattendu seulement 5 ans après entre des mains non pas moins inattendues, celles de Jean-Pierre Jeunet, réalisateur français qui venait de se faire connaître avec La cité des enfants perdus qu’il avait co-réalisé. Un autre fait notable est qu’il est scénarisé par Joss Wheadon, alors en début de carrière avec Buffy contre les Vampires qui démarrait sa première saison. Avec un tel duo, on peut imaginer une direction très différente pour ce film dans la saga, et c’est clairement le cas à tel point que pour moi, comme pour beaucoup d’autres, il y a la trilogie Alien Orginal et le spin-off Résurrection.


Il y a déjà un aspect comique dans ce film assez inédit pour la saga qui clairement divisait jusqu’au réalisateur qui voulait s’amuser mais craignait que ça ne soit hors-sujet de son propre aveu. La scène d’intro du film qui montrait la gueule d’un Alien qui finalement se révélait être celle d’une mouche suite à un dézoom a par exemple été retirée du montage initial parce qu’il y avait cette crainte-là alors que le réalisateur trouvait la scène réussie. Ça ne l’a pas empêché de distiller plein de petites blagues farfelues au cours du film, comme l’haleine comme moyen d’ouvrir une porte, ce qui peut clairement faire très bizarre, voire faire sortir du film.


Si on n’est pas client de ce genre d’humour grotesque, c’est normal que ça ne marche pas mais l’humour peut aussi très bien marcher avec des gags un peu cartoons, comme lorsque qu’un Alien est tué par le canon d’une arme qui a été glissé dans la gueule d’un autre Alien qui le cachait, c’est tellement inattendu que ça fonctionne forcément et à moins de ne pas vouloir ça, que ce soit bien fait ou non, ça fait sourire. Ce que j’apprécie c’est que le film assume clairement cette direction humoristique tout du long sans non plus devenir une totale parodie avec autre chose à offrir, l’humour ne pouvant pas tout faire dans un film appelé Alien bien évidemment parce que là ça serait hors-sujet pour le coup.


Et c’était aussi une volonté de l’artiste commune aux 4 films : Sigourney Weaver qui a beaucoup été impliquée dans l’écriture du film, insistant pour que certaines scènes tendancieuses ne soient pas coupées au montage et c’était sa volonté d’avoir cette interprétation beaucoup plus décomplexée qu’elle ne s’était pas autorisée précédemment. Elle est beaucoup plus sensuelle, provocatrice, détachée... là où elle était toujours très sérieuse et équilibrée au sein du groupe dont elle faisait partie, presque celle qui vient recadrer ceux qui ne prennent pas les choses au sérieux, assumant un rôle de leader par les faits bien qu’elle n’y soit jamais prédestinée.


Ce jeu décomplexé se retrouve d’ailleurs dans l’ensemble du casting aux trognes bien particulières et dans le surjeu assez facile sans qu’il ne soit jamais exagéré, ce sont d’ailleurs les plus timbrés qui auront tendance à survivre plus longtemps et Sigourney Weaver y trouve donc parfaitement sa place tout en ne se répétant pas depuis ses précédentes aventures. Mais au-delà de ce jeu assez inédit qu’elle développe, je la trouve aussi magistrale dans des scènes où elle joue de la colère ou de la tristesse, à l’image de la scène où elle découvre les 7 clones en milieu de film, ma scène préférée.


Cette scène va d’ailleurs être l’occasion pour moi d’aborder un autre point important pour ce film : il est beaucoup plus gore et dérangeant esthétiquement que tous les autres. On le voit déjà aux créatures extra-terrestres déjà bien connues complètement organiques avec beaucoup de textures visqueuses mis en avant, plus que par le passé, mais surtout au design des nouvelles créatures qui va aller assez loin, à l’image de ces clones monstrueusement difformes, et c’est probablement cet épisode qui prend le plus de risques à ce niveau depuis Alien 1.


Il n’y a qu’à voir la créature finale qui a clairement ses rétracteurs, usurpant littéralement la place de la créature Alien la plus puissante connue jusque-là. Je trouve assez pertinent ce design très curieux qu’ils ont imaginé où on le voit constamment d’un air très triste qu’on prendrait presque en pitié puis brutalement de façon horrible où il semble péter un câble pour devenir la machine à tuer la plus incontrôlable qui soit. Ajouté à ça la disproportion de ses différentes parties du corps, la texture visqueuse de sa peau... et on tient une créature horrifique vraiment extrême, et on a de la chance : la Fox a censuré les parties génitales initialement envisagées.


Le côté dérangeant est aussi renforcée par la mise en scène contenant beaucoup de Steadycam, de gros plans déformées par l’angle de caméra... des choses que je n’apprécie pas d’habitude mais qui sont des choix très cohérents avec la direction artistique générale retenue pour le film. Si comme on l’a vu précédemment l’humour est un fil conducteur, cet esthétisme gore et dérangeant en est un autre et Alien Résurrection a pour mérite de s’y tenir fidèlement et j’ai même envie de dire d’aller jusqu’au bout des choses pour en laisser un souvenir marquant, bon ou mauvais selon si vous en êtes client.


Il n’oublie pas complètement l’héritage horrifique de la saga pour autant, même s’il s’en éloigne le plus dans l’ensemble, la scène sous-marine est juste parfaite pour ça. On place les personnages dans une situation encore inconnue dans la saga, les Aliens n’ayant jamais été filmés sous l’eau et la réalisation tout en prise de vue réelle marche superbement bien. L’avancée progressive de la créature sur un personnage toujours plus paniqué à la manière des Dents de la Mer remplit parfaitement son rôle, le cauchemar sans fin avec un danger mortel dont le contournement laisse place à un autre, puis à encore un autre ne laisse jamais le spectateur respirer... mais c’est la seule fois où le film sera réellement effrayant, ce qui est peut-être un peu léger pour un film Alien selon certains.


Comme il énonce très vite ses intentions de ne pas être dans l’horreur classique dont l’efficacité se mesure proportionnellement à la frayeur qu’il engendre, Ripley tuant l’air de rien son premier Alien dans le film et le désacralisant en jouant avec son cadavre, j’ai tendance à bien accepter ses partis pris qui ne sont pourtant pas ce que j’attends en priorité d’un film de cette saga, mais je pense que c’est dû au fait que je le considère comme un spin-off plutôt que comme une conclusion. Dans ce dernier cas de figure je serai peut-être moins indulgent et comme il n’y a pas eu de film Alien les 20 années qui ont suivi le film, ça ne joue pas en sa faveur pour lui conférer un autre statut, il faut bien l’admettre.


Sinon, le film étant bien rattaché au reste de la saga scénaristiquement, et pas seulement à cause de son personnage principal qui aurait pu tout aussi bien en être un autre, comme il l’était prévu d’ailleurs dans les premiers scripts avant que la Fox n’impose ce choix plus bancable, il explicite les craintes et sous-entendus des précédents Alien sur les dérives que pourraient entraînées la main mise sur les Aliens par la compagnie Weyland. Ça enlève un peu du mystère autour de cette question posée mais pas vraiment traitée jusque-là, mais ça lui donne du crédit et ça valide la quête de Ripley sur trois premiers films, et ça mine de rien ça peut constituer quand même une petite conclusion pour la saga.


Ça n’est clairement pas suffisant pour qu’Alien Résurrection conclue superbement une saga de laquelle il s’éloigne tant sur ses partis pris majeurs, notamment par son humour, mais c’est suffisant pour en faire un divertissement décomplexé assez plaisant s’affranchissant de certaines normes du grand public, notamment esthétiques. Jean-Pierre Jeunet et toute l’équipe, grandement française par ailleurs, ont pu délivrer leur vision du mythe Alien avec les moyens nécessaires pour y parvenir et moi ça me plaît.

damon8671
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le 6 avr. 2019

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