Pile trente années après sa sortie, « Aliens, le retour » fait toujours figure d’une suite parfaite au chef-d’œuvre de Ridley Scott. Réalisé par le camioneur James Cameron, ce second opus opère un véritable changement pour la saga de science-fiction tout en l’imposant d’emblée comme un mythe, en posant les piliers définitifs d’un univers particulièrement vaste. Quand Ridley Scott réalisait un slasher spatial reposant presque uniquement sur les hors-champs, James Cameron transforme les proies en prédateurs, et remplace les frissons du premier volet par les canons et les explosions. Mais plus qu’un habile croisement entre l’horreur, la SF, et l’action, « Aliens, le retour » orchestre l’offensive féminine en voyant s’affronter les mères de toutes les peurs.
Impacté par un souffle épique, « Aliens » fait figure d’un film totalement encré dans le cinéma de James Cameron. Ce dernier filme l’étau se resserrer autour d’Ellen Ripley, prise entre une grossesse monstrueuse et la perte de son enfant. La métaphore ne tarde pas à apparaître : dans le premier film de la saga « Alien », la créature n’a pas tué la femme, mais la mère. Dans le premier opus, Ripley a sauvé sa féminité face à un phallus mangeur de chair. Dans cette suite, elle devra sauver son statut de mère. La saga « Alien » est obsédée par les femmes, et notamment par la gestation. Vient toujours cette peur de donner naissance à sa propre mort, cette peur d’enfanter. Et fort heureusement, Cameron ne fait preuve d’aucune ambiguïté. Le long de sa filmographie, le futur réalisateur d’« Avatar » a souvent placé dans ses films des personnages de femmes viriles s’aventurant dans la gueule du loup (on citera également « Terminator : le jugement dernier », ou « True Lies »). « Aliens » est l’aventure intime d’une femme retournant dans l’antre de la bête. Et cela ne cesse de sauter aux yeux : dans le premier opus, Ripley n’est autre qu’une poupée, un objet de désir à la culotte subjective. Ici, il s’agit d’une femme ne voyant plus les aliens comme une menace, mais comme des rivaux.
La saga « Alien » est une fresque de série B, réalisée avec des moyens de série A. Néanmoins, « Aliens » parvient à s’équiper d’une grandeur et d’une ampleur qu’aucun autre opus ne touchera : qu’il s’agisse du suicide commercial de David Fincher ou du pamphlet baroque de Jean-Pierre Jeunet. En s’employant à détruire toute une famille de monstres, Ripley réveille tout le potentiel de la saga en tant que quête matricielle explosive. Préférant les détonations et les ondes de choc au silence de l’espace, James Cameron ne tarde pas à créer une atmosphère guerrière oppressante tout en laissant sa caméra léviter autour de personnages attachants. Aventure entre Charybde et Scylla, « Aliens » abat ses cartes dès que nous est présenté le personnage Newt, petite fille abandonnée dans ce gigantesque complexe industriel au sein duquel se déroule le film, entre les mains des xénomorphes. Lorsque Ripley aperçois la jeune fille, son premier reflexe est d’aller la chercher dans les conduits d’aération, au péril de sa vie. Les enjeux du film apparaissent donc clairement. Le but de Ripley n’est plus de sauver sa peau, mais de conduire la jeune orpheline le plus loin possible de cet enfer. Elle obéit donc à ses pulsions maternelles, et là apparaît toute la féminité, voire même toute l’humanité du personnage.
La relation mère/fille est donc le centre de gravité du métrage. Ce qui, pour un film de science fiction horrifique malsain, est particulièrement étonnant, voire même en total décalage avec la virilité rutilante découlant de ces personnages bourrins. Raflant du xénomorphe à l’appel, Cameron tisse une œuvre aussi décomplexée que maitrisée, et n’hésite pas à montrer l’horreur pure : celle d’une Reine alien, génitrice de la tuerie. Il faut savoir qu’à cette époque, James Cameron est très loin de « Titanic », ou « Avatar », et n’est pas encore le réalisateur « conforme » qu’il est aujourd’hui. Ici, le bougre ne se complique par la tache à filmer cet affrontement entre la pureté et l’annihilation. Au contraire, on sent à travers « Aliens », plus que dans ses autres films, qu’il est un homme d’action. À partir du moment où la Reine xénomorphe apparaît, le film change totalement de calibre, et devient un combat de mères faisant l’apologie de la suprématie maternelle. Et outre les quelques facilités qu’il emploie, « Aliens » est également une subtile métaphore de l’enfer de la guerre, faisant notamment référence à la guerre du Viêt-Nam, en ravivant nos peurs les plus intimes, et rajoutant à cela l’un des combat les plus épique de toute l’histoire du cinéma.
Adieu donc la tension et le stresse du « Huitième Passager ». Ici, place à la puissance, et à l’exaltation. Une chose est sur, le chef d’œuvre de Ridley Scott ne pouvait rêver meilleure suite, assurant aussi bien la continuité de la saga que la construction de sa mythologie. Spectaculaire, violent, et pourtant, avant tout, humain. « Aliens » est un film totalement personnel, et même une inoubliable fresque cinématographique. Sublime.