l'éléphant de la perfection désespérée et poétique

Premier, mais aussi dernier film, soit l’ultime film du réalisateur chinois Bo Hu, qui s’est suicidé après le tournage de son film, An elephant sitting still laisse songeur. Derrière son histoire triste d’un cinéaste qui transmet son unique heure, et pas des moindre puisqu’elle dure 4h, ce film dispose d’un synopsis qui transpire la poésie et l’évasion autour de l’histoire d’un éléphant qui resterait sois disant assis toute la journée. Une durée monstre, un sujet fort intriguant et intéressant, des cinéastes de renond tel Gus Van Sant qui plébiscite ce film, bref An elephant sitting still donne l’eau à la bouche, mais qu’en est-il réellement ? An elephant sitting still est tout simplement un chef d’œuvre.


Chef d’oeuvre oui, mais ce film a-t-il des défauts ? Parmi les défauts, on peut mentionner le fait que les personnages renifle souvent, peut-être voir sûrement la faute au froid, mais au bout de 4h, cela peut énerver ce qui sont sensible à ça. Il faut donc aller les chercher loin, très loin les défauts pour ce film car il n’y en pas. Même dire que la longueur impressionnante de 4h est un défaut serait faux car ces 4h sont parfaitement gérées. Ici, nous ne pouvons pas couper le film en plusieurs parties distinctes ou en des actes différents ou en chapitre, Les 4h tiennent comme un pavé unique et non-modifiable où chaque secondes de chaque plan fixe, où chaque longueur n’est pas du tout inutile, mais au contraire, va dans le sens du film et de sa mise en scène particulièrement brillante, une mise en scène sobre tout de même mais extrêmement efficace et maîtrisée. Dans la mise en scène, nous voyons, et surtout au vu de la durée du film, des longs plans séquences avec des cadres physiques marquant et statique (c’est-à-dire que la caméra va suivre les actions du personnage, elle ne va pas être indépendante des personnages). Le but de ce cadre pour ce film est de s’accrocher jusqu’au bout à ces personnages, de les développer en prenant le temps qu’il faut, et ce temps n’est pas long, certes les 4h ne passent pas inaperçus, mais sont nécessaire et terriblement efficace pour installer tous ces personnages et surtout l’intensité de leurs actions, réactions et émotions. Les longs plans séquences permettent de jouer sur un élément essentiel, le hors champs, car oui le film joue énormément et extrêmement bien avec le hors champs. La maîtrise est parfaite et permet d’éviter tout superflu de sang ou d’action ou d’extravagance. Le film reste ainsi dans une atmosphère unique, froide et post industrielle extrêmement clivant et rugueux où la loi du plus fort semble s’exprimer. Dans cet environnement, la lenteur fait écho à l’ennui, pas celui du spectateur, mais celui des personnages, un ennui plein de désespoir et de désillusion où même leur environnement ne permet pas de les libérer. Dans ce contexte, le hors champs est brillant et permet de montrer des scènes fortes et dure de manière brève ou simplement suggéré, l’environnement fera le reste. Nous savons que tout n’est que tristesse dans la vie de ces personnages, chaque évènements, qui arrive majoritairement en hors-champs, renforce ce monde dans sa logique et conception. Mais le film s’appuie aussi sur la profondeur de champ pour mieux cerner ses personnages et encore fois leur environnement. Ici, la fonction esthétique de la profondeur de champs peut être réduit à quelque chose de très simple, les personnages ne s’intégrant pas dans leur univers, flou, comme s’il les rejetait ou inversement, mais derrière cette simplicité il y a une très grande maîtrise de la réalisation pour donner à chaque scène une allure imprégné d’un désespoir permanent voir insurmontable. La caméra prend le temps de filmer ses personnages. Lorsqu’il joue sur le hors champs, il y a des travellings circulaires qui ne viennent pas couper l’action lente du film, sonnant comme une lente agonie, une lente descente en enfer. Avant de révéler ce qu’il se passe en hors-champs, avant de mettre les personnages face à ce qu’il se passe, déclenchant ainsi une décision, le temps d’attente est important et celui-ci passe via ce travelling circulaire. Ce temps d’attente permet au personnage, mais aussi au spectateur qui, via le hors champs, veut savoir, et angoisse à l’idée de ce qui pourrait ou s’est passé ou même ce qui va se passer ensuite, de le confronter à son action et ainsi, la caméra revient sur lui et le confronte à sa réaction. Le film prend son temps, il n’y a pas action/réaction, mais une lente dégringolade à tout ce qui se passe dans la tête de chaque personnage lors de chaque événements, amenant ainsi quelque chose comme action/compréhension/explication/réaction/action, bref on développe tout au maximum pour capter l’essence de ces personnages meurtris au possible. 
Côté casting, même si on ne les connaît pas trop, il n’y a strictement rien à dire tant ils sont parfaits, toujours là où les attends. Les personnages évoluent à leur rythme, jusqu’à ce que leur monde les brise. Ils sont déjà à moitié brisé, presque sans avenir, sans réel but à leur vie, comme des errants qui survivent. Il n’y a pas de vie dans leur vie, tout est morne et triste et tout paraît surréaliste dans leur environnement, ils sont en plein désespoir et leur entourage et tous les événements s’acharnent contre eux, comme si on leur dit que ce monde n’est pas pour eux. Le film traite de ce désespoir, mais pas que celui d’une jeunesse, mais celui de l’Homme de manière universelle, nous parlons d’une personne âgée, un jeune adulte et des jeunes adolescents qui essaient de vivre et font face à quelque chose d’hostile. Tous les personnages ont un lien entre eux et se rencontrent de manière intelligente, signe d’une écriture brillante et divine qui à la fin ne va même plus propulser ses personnages tant ceux-ci, en relation avec les autres se propulsent eux-mêmes, c’est cela l’efficacité d’une bonne narration. Le film monte tout le temps en puissance, jusqu’au bout, pourtant, il garde toujours son rythme lent et agonisant, la seule chose qui va vraiment monter en puissance, c’est son drame. Son drame, très marqué socialement va devenir percutant, autant moralement que physiquement, voir même impressionnant, basculant le film, ou plutôt ses personnages dans un voyage sans retour, en quête d’espoir, quête vraisemblablement impossible, relevant d’une rêverie même.
Le film n’est pas exempt de musiques, même s’il y en a peu, la majorité de l’univers sonore provient des bruits de la ville. Les interludes musicaux très intelligents, car ils lancent le personnage dans son environnement. En effet, il le suit de manière plus personnelle et émotive à chaque avancement de l’histoire où apparaît les musiques, laissant le personnage comme le spectateur seul face à ses pensées lors d’une petite marche vers un inconnu troublant. Ces musiques sont vaporeuse et rythmique à la fois, elles détaillent une ambiance post industriel brumeux dans le sens d’un avenir incertain et troublé, mais aussi ambiant, atmosphérique. Sans être un son qui viendrait combler ou remplacer l’espace sonore du film, c’est carrément une musique qui plein de rêverie, parfois noire, amène le personnage ailleurs, à rêver de mieux, de fuir dans son esprit lors d’un court moment pour faire face à la vie (un peu comme lorsqu’on écoute une musique en marchant, ici, c’est exactement cela, mais de manière plus poétique et intégré dans un travail minutieux de montage et de mise en scène). La dernière heure, pleine en intensité dramatique et en force émotionnelle turbulente, comporte beaucoup plus de musiques, celles-ci arrivant de plus en plus fréquent pour marquer la fin du règne de la désillusion, de la souffrance et du désespoir. L’espoir qui n’était que rêverie se confond de plus en plus dans cette ultime quête d’aller voir cet éléphant. Une force philosophique et émotionnelle hors norme s’empare alors de chacune de ces séquences pour leur donner une tonalité d’un voyage sans retour, d’une échappatoire à un monde qui les repousse, les refuse et dont leur place vient d’être emporté dans les flots des problèmes qu’ils ont et ont eu. Sans futurs ni destins, ils avancent vers cette illusion presque, une illusion d’échappatoire qu’est cet éléphant, celui dont on dit qui reste assis, indifférent au monde. Ceux dont le monde leur est indifférent vont voir celui qui est indifférent au monde en somme, et cette quête a des allures de rêveries de plus en plus poussées. Tout d’abord la musique, qui s’intensifie de plus en plus avec des notes plus joyeuses laisse envisager un espoir, mais quel espoir ? L’avenir dans une autre ville, cet éléphant dont l’histoire sonne comme fable, un récit, une légende même digne d’un rêve, et c’est vers là qu’ils vont. Le voyage et cette quête a tout de quelque chose de profondément mystique et poétique bien entendu, avec une pointe de mélancolie de part la tristesse de la réalité et de la fuite. Puis, il y a l’ultime plan, qui est une merveille sur tous les points, sur absolument tout. Digne des plus belles photos du cinéma de Tarkovsky, baigné dans une brume épaisse en pleine nuit, rythmé par cette musique toujours présente qui laisse sa place au bruit du moteur, l’image est spectaculaire. D’une grande simplicité, mêlée à du mystère, le plan fixe, long et lointain montre des gens redevenu simple, revenant à leur nature d’être humain joyeux, qui joue avec un détritus dans un espace désolé. L’analyse de la scène peut être poussée à l’extrême en y voyant des gens jouant avec des détritus, ombre d’eux même, de leur partis obscure qu’ils ont fuit et avec qui ils jouent dans un ultime élan de liberté et de délivrance, et puis vient sonner le glas de la scène, de la quête et du film et on ne peut qu’en pleurer tant c’est beau, poétique à outrance et d’une mélancolie sans fond. Tel des âmes parti rejoindre l’au delà pour y voir une lecture plus sombre et onirique, ou des Hommes perdus qui y trouve une délivrance pleine de beauté, issue d’une simplicité, ou encore ces Hommes qui fuient et se font accepter par celui dont le monde lui était indifférent. Plan ultime d’une beauté profonde et infinis qui vient conclure un film monstre qui dans son ensemble ne peut être résumé autrement : c’est un chef d’œuvre, un chef d’œuvre absolu et en tout point.

Conclusion : An elephant sitting still est un mastodonte de désespoir et de désillusion pour ces personnages pleins de remords et de souffrances en quête d’un sens, d’un but, d’une vie. Une mise en scène impeccable pour un chef d’oeuvre absolu où sa poésie n’égale que sa mélancolie.

sdtheking
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le 20 mars 2020

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