Avec sa réputation de chef d’œuvre glané au fil des festivals, AN ELEPHANT SITTING STILL signe le cri posthume de désespoir d’Hu Bo, cinéaste maudit qui s’est donné la mort peu avant la sortie de son film.


Un jeune lycéen tue accidentellement un de ses camarades, un autre est à l’origine d’un suicide, un grand père est prié de quitter le cocon familial et une âme diaphane se laisse détournée par un homme malhonnête. Sous l’œil d’Hu Bo, la Chine contemporaine est un tombeau géant, un vaste terrain de jeu fantomatique, où nul n’en sortira sans intenses écorchures. Ces personnages s’accrochent à la vie comme à leur destination, une petite ville du nom de Manzhouli, reculée à lisière de la Mongolie, où dit-on, un éléphant se tiendrait immobile, dressé tel un refus de participer au grand simulacre du 21ème siècle.


Dès lors, la tornade inconsolable des cœurs déchus d’une vie insupportable épouse les formes cadavériques du long métrage. Plombé par un soleil de charbon, l’espoir n’est plus, le sens s’est évanoui dans les limbes d’un monde agonisant, embrumé d’un voile grisâtre de pollution. Ils traversent, depuis les entrailles empoisonnées du spleen, les ruelles évidées de signification, avec comme seul compagnon, les reflets d’un miroir mortifère tendu face à leurs misérables existences.


Hu Bo instaure, sur ces 4 heures monstrueuses, une distance rapprochée où la caméra cherche constamment la juste mesure avant d’enserrer ces visages cueillis par la désolation. De Drieu la Rochelle à Baudelaire, AN ELEPHANT SITTING STILL scelle dans un écrin de cendres l’humeur ravagée de la modernité. Ici, tout s’enlise éperdument dans un pachydermique vaccum existentiel éprouvant. La désespérance, qui affleure au gré des déambulations spectrales, embaume l’atmosphère d’un doux blizzard carbonisé et provoque la résurgence d’une seule oscillation valable : la force désabusée de l’autodestruction.



Le monde est répugnant.



Élégiaque, la beauté crépusculaire de ce bloc à l’apparence austère donne le vertige. Alors, la noirceur qui transpire aux quatre coins de la pellicule où chaque mot prononcé, chaque regard qui s’en échappe miraculeusement, semble être le corrélat d’un effort incommensurable pour assurer une survie éphémère. Œuvre-fleuve, complétée par un un dernier acte prodigieux, c’est son final truffé de barrissements éreintés qui confine AN ELEPHANT SITTING STILL aux sommets du cinéma asiatique.


Sofiane


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/an-elephant-sitting-still-le-tombeau-des-coeurs-dechus-critique-874022/

LeBlogDuCinéma
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 18 janv. 2019

Critique lue 265 fois

3 j'aime

Critique lue 265 fois

3

D'autres avis sur An Elephant Sitting Still

An Elephant Sitting Still
Shania_Wolf
10

Sans Soleil

Dans ce qui restera l'unique long-métrage de Hu Bo, qui mit fin à ses jours peu de temps après l'avoir achevé, le fond et la forme s'associent pour accoucher d'une œuvre d'une grande force lyrique...

le 8 janv. 2019

49 j'aime

5

An Elephant Sitting Still
Sergent_Pepper
8

Apocalypse slow

Le constat ne manque pas de paradoxe : dans l’histoire de l’art, l’inspiration doit une part grandissante au pessimisme. Alors que les premières représentations insistent sur l’idée d’une trace à...

le 9 nov. 2020

36 j'aime

6

An Elephant Sitting Still
Moizi
8

Behemoth

An Elephant Sitting Still est un sacré morceau de cinéma, non seulement pour sa lenteur et sa durée, mais surtout parce qu'il met du temps avant de se révéler. Disons qu'au cours du film j'ai tout...

le 8 janv. 2020

35 j'aime

1

Du même critique

Buried
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Buried par Le Blog Du Cinéma

Question : quels sont les points communs entre Cube, Saw, Devil, Frozen et Exam ? Ce sont tous des films à petit budget, dont le titre tient en un seul mot, et qui tournent autour du même concept :...

le 21 oct. 2010

43 j'aime

4

The Big Short - Le Casse du siècle
LeBlogDuCinéma
7

Critique de The Big Short - Le Casse du siècle par Le Blog Du Cinéma

En voyant arriver THE BIG SHORT, bien décidé à raconter les origines de la crise financière de la fin des années 2000, en mettant en avant les magouilles des banques et des traders, on repense...

le 16 déc. 2015

41 j'aime

Un tramway nommé désir
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Un tramway nommé désir par Le Blog Du Cinéma

Réalisé en 1951 d’après une pièce de Tennessee Williams qu’Elia Kazan a lui-même monté à Broadway en 1947, Un Tramway Nommé Désir s’est rapidement élevé au rang de mythe cinématographique. Du texte...

le 22 nov. 2012

36 j'aime

4