Shakespeare revu par Roland Emmerich, c'est un peu les Beatles par Rammstein. Ca fait saliver, mais on sait qu'au fond ça risque de ne pas passer sans un bon tube de vaseline. Foisonnant mais bordélique, surprenant mais calibré, avide de vérité mais empreint d'artifices : "Anonymous" n'en est pas à une contradiction près, et c'est évidemment ce qui le rend aussi passionnant qu'agaçant.
A partir d'un postulat stupéfiant qui a de quoi faire rendre à la reine son thé de quatre heures, John Orloff a bâti une trame bancale qui multiplie les allers-retours temporels dans la plus grande confusion, surtout si l'histoire de l'Angleterre a beaucoup de secrets pour vous. Malgré ses deux heures, le film n'arrive pas non plus à donner de la consistance à ses personnages. Soit on les effleure (le comte d'Oxford, Elizabeth), soit le manichéisme les étouffe (tous les autres, mal joués en plus). Beaucoup d'idées brillantes sont vite abandonnées. Au-delà du fil rouge sur l'imposture shakespearienne, Emmerich commence en effet à développer une amorce de réflexion sur le pouvoir de l'art, son influence sur les sociétés et sur l'Histoire. Piste vite délaissée au profit de révélations qui n'intéresseront que les émules de Stéphane Bern.
Que reste-t-il donc de la patte Emmerich ? Son sens du spectacle, c'est indéniable. Un style purement hollywoodien qui rappelle combien le cinéma contemporain hérite du grandiloquent des premières tragédies "modernes" shakespeariennes. Malheureusement ça ne laisse pas grand place au mystère, qui pourtant aurait dû planer sur cette histoire dont on ne découvrira probablement jamais le fin mot. Si j'étais méchant, je dirais que ça pue un peu la malhonnêteté. Mais vu que l'histoire est belle...