La loi de son cœur
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le 4 sept. 2020
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Attention, cet avis comporte ce genre de spoilers:
Antigone sans Créon, c'est un peu comme...le joker sans Batman, non?
La bande-annonce semblait promettre une transposition hip-hop et contemporaine au mythe d'Antigone, une histoire de rue rendue intemporelle car gonflée au mythe classique.
Et "classiquement", le mythe d'Antigone sert un proposer au personnage un choix qui choque sa conscience morale. D'où son refus absolu, d'où sa mort. C'est l'essence de la tragédie.
Ainsi chez Sophocle, elle prône la loi divine contre les lois humaines ou le droit naturel contre le droit positif. Chez Anouilh, elle conchie le monde des adultes poussés aux compromissions. Chez Brecht...j'ai pas lu ; il y en a sans doute beaucoup d'autres.
Dans cette nouvelle variation, je n'ai rien compris. Elle aurait pu s'appeler Nadia, Helge ou Mei, ça aurait été pareil. D'ailleurs, je vais l'appeler Corinne, ça simplifiera la suite de la lecture. Nul besoin de s'appeler Antigone pour cette histoire là.
Déjà, il n'y a pas de Créon pleinement identifié. Dans cette version, le discours du personnage apparaît éventuellement à travers différentes figures d'autorité. Mais il ne sont que les simples exécutants de la logique d'un système qui n'est jamais expliqué. Or classiquement, un roi Créon, dernière figure humain et sensible avant le châtiment ou la grâce explique pourquoi il fait ce qu'il fait, histoire de préciser l'enjeu du choix d'Antigone.
Et c'est là que la réal triche un peu trop avec le mythe: Corinne n'a pas de choix à faire. Enfin peut-être que si mais c'est pas clair: en tout cas, personne ne lui demande de trahir son éthique.
Ici, son choix pourrait être: accepter ou refuser de coopérer avec les institutions judiciaires. Mais là où la vraie Antigone expose sa rhétorique à un Créon qui prend le temps de chercher à la sauver, Corinne oppose une pure émotion sans raison. Elle n'énonce son éthique que sur un mode purement émotionnel sans avoir mesurer la conséquence de ses actes. Corinne n'est que pure réaction. Antigone sans l'argumentation. On tombe donc de la tragédie au simple drame.
"Mais il n'y a pas besoin d'argumentation", c'est du cinéma. Oui mais pourquoi c'est filmé comme un téléfilm, pourquoi cette absence de mise en scène qui ferait parler les images à la place des mots? C'est un refus d'ordre éthique aussi? Faire de l'esthétique, c'est apporter du sens et le sens c'est mal?
Entre temps Corinne sera devenue une figure médiatique de la résistance et on se demande bien de la résistance à quoi. A toutes les lois? A celles qui ne nous arrange pas ? Au principe même de loi? A celle qui nous paraissent injustes mais sans rien expliquer ?
Elle devient donc la martyr sacrificielle d'une cause non identifiée. Joli fourre-tout.
Franchement, si c'est pour dénoncer l'humiliation infligée par ceux qui croient en leur autorité ...ben fallait autrement. Cette phrase vous est offerte par l'amicale des "c'est-plus-facile-à-écrire-qu'à-produire-et-à-tourner". Surtout que Corinne cherche aussi à humilier ceux qui humilient. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. On n'en sortira pas.
On se retrouve avec un film privé de discours qui voudrait se ranger du côté du mythe pour se donner un peu de densité, tourné comme un fait divers qui en appelle au coeur pour tout et n'importe quoi, et qui milite éventuellement pour des institutions plus sympas avec les criminels (?!).
Moi au final, j'étais soulagé de voir cette famille dégager de leur pays d'adoption. Je crois que c'est le contraire du but recherché. Ma peine ira toutefois à
Ismène
qui n'a rien demandé.
Reste le jeu de l'actrice incarnant Corinne qui gagne en intensité au fur et à mesure.
Créée
le 6 sept. 2020
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