Le destin d’un film est d’une fragilité inouïe. Le dernier film du japonais Hirokazu Kore-Eda, Après la Tempête, ne déroge pas à ce constat. L’opus est sorti dans le proche sillage de deux autres films très similaires, soit servis par les mêmes acteurs, soit centrés sur la même thématique de la perte et des liens familiaux complexes : d’abord, Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase, un film naturaliste interprété magistralement par la grande Kirin Kiki, présente également dans Après la tempête, puis Harmonium de Kôji Fukada, un faux thriller et vrai drame familial qui n’est vraiment pas sans rappeler l’univers de Kore-Eda, et dont certains acteurs sont également présents dans son film. Cette proximité peut brouiller la lecture de ce nouvel opus, d’où cette évocation d’une certaine fragilité…


Voilà donc un film, pas tellement différent de ce que son auteur a déjà réalisé, dans sa manière de raconter une histoire familiale très simple, sur la base d’un scénario plutôt ténu, une histoire faite de quotidiens d’où l’écueil et le dysfonctionnement dépassent à peine. Peut-être qu’à la différence des précédents, le cinéaste a davantage encore désossé son dispositif, et l’enfant, qui est souvent le fil conducteur du récit dans ses films, n’est pas le personnage central ici. Ce parti pris de la figure enfantine apportait d’emblée un capital émotionnel substantiel à chacun de ses films.


Ici, la question de la transmission reste très présente, mais l’enfant n’est pas un enfant; c’est un adulte, grand à tous les sens du terme. Ryota, interprété par Hiroshi Abe, celui-là même de Still Walking, l’un des précédents films de Kore-Eda qui en serait le plus proche, l’un des plus remarquables aussi, vient à la fois de perdre son père et d’être quitté par sa femme Kyôko (Yoko Maki, déjà aperçue dans Tel père, tel fils). Récipiendaire quinze ans auparavant d’un vague prix littéraire dont personne ne se rappelle jamais du nom, tant il fut insignifiant, il vivote depuis, incapable d’écrire à nouveau, rongé par l’addiction au jeu, et dont le poste de détective privé lui sert essentiellement à espionner son ex-femme et son sémillant nouveau boyfriend, ainsi que Shingo (Taiyo Yoshizawa), son propre fils. Ryota est comme écrasé par sa propre inertie, inapte à la société, reproduisant en cela son propre père, joueur lui aussi, obligé de mettre au clou le peu de biens qu’il possède, et incapable d’extirper sa famille et ses enfants du HLM où il aura vécu jusqu’à son décès (et où Kore-Eda lui-même a également vécu pendant de longues années).


Un film dans la veine de tous les autres donc, et pourtant, le cinéaste peine à le faire vivre. Après la Tempête manque singulièrement de dynamisme, et la mise en scène peu inspirée achève de le rendre peu passionnant. Les incursions dans la vie sociale de Ryota (l’addiction aux courses, le boulot de détective de troisième zone) ne font que diluer encore le récit, plutôt que le renforcer. Évoquant pourtant toujours le cinéma d’Ozu dans cette capacité à faire émerger les mini-drames du quotidien, dans cette part belle laissée au personnage pour respirer, Kore-Eda a du mal cette fois-ci à convaincre. Le personnage de Ryota lui-même n’amène aucune empathie, sans doute par excès de caricature. Celui de la sœur aînée, une femme sans complaisance vis-à-vis de son frère, pas davantage. L’ex-femme, jolie et résignée manque singulièrement d’étoffe. Et surtout le personnage de Yoshiko, la mère, pourtant la lumière et l’esprit de ce film un peu atone, non seulement est archétypal, mais Kirin Kiki, sans rien enlever à son talent, semble être en pilotage automatique pour un rôle maintes fois joué par elle, notamment dans Still Walking où elle jouait déjà le rôle de la mère de Hiroshi Abe, et également dans le récent Délices de Tokyo. Du coup, on a la fâcheuse impression d’une redite, empêchant d’apprécier pleinement les subtilités de ce personnage d’une mère aimante mais qui n’en pense pas moins.


Alors que la presse unanime vante Après la tempête comme étant un des meilleurs films du cinéaste, sans doute par opposition aux précédents qui peuvent paraître un peu trop sirupeux à son goût, sans doute aussi par la thématique du déterminisme familial qu’il développe ici ; force est de constater qu’on s’ennuie vaguement dans ce film très convenu, trop low-key, et qui n’apporte aucune surprise. Ajoutez à cela un visionnage rapproché du Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu, et on se prend à espérer que notre chouchou Hirokazu Kore-Eda reparte d’un bon pied pour nous émouvoir à nouveau, même si c’est au prix de quelques kilos de sucreries doucereuses…


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Bea_Dls
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le 29 avr. 2017

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Bea Dls

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