Parfois, un petit coup d’éclat suffit à sortir un film plutôt confidentiel de l’anonymat auquel il était malheureusement voué, face à des mastodontes cinématographiques lancés à grand renfort de marketing. C’est le cas d’Aquarius, le nouveau film du brésilien Kleber Mendonça Filho, présenté en sélection officielle à Cannes en Mai dernier, en pleine tumulte politique. L’équipe a alors brandi sur les marches du Palais des pancartes de soutien à Dilma Roussef, en parlant de « coup d’état en cours au Brésil ». L’affaire a fait grand bruit, et a valu par ailleurs des avanies au film qui fut un temps interdit aux moins de 18 ans, par pures représailles…


Mais un petit coup d’éclat ne suffit pas pour faire un bon film. Aquarius n’est pas le film parfait, mais il a des qualités intrinsèques pour se faire apprécier. Centré autour de l’histoire de Clara (Sonia Braga, lumineuse), une ancienne journaliste musicale de soixante-cinq ans habitant les quartiers huppés de Recife, le film traite de la résistance. La résistance de Clara par rapport à la maladie, un cancer contracté très jeune et qu’elle a vaincu depuis près de 40 ans. Sa résistance par rapport à un jeune promoteur immobilier impitoyable, prêt à tout, avec un sourire hypocrite vissé aux lèvres, pour la faire plier comme tous les autres habitants, afin de lui faire vendre son appartement dans l’Aquarius, l’immeuble plein de cachet où elle habite, en un quelconque projet lucratif et sans âme parmi tant d’autres. Sa résistance encore au temps qui passe, au flétrissement d’un corps qui abrite des désirs encore intacts.


Kleber Mendonça Filho structure son film en trois parties intitulées successivement « les cheveux de Clara », « l’amour de Clara » et « le cancer de Clara ». Des titres qui ne sont pas choisis au hasard, mais qui témoignent de son inventivité. « Les cheveux de Clara » par exemple s’ouvrent sur une scène qui a lieu plus de trente-cinq ans auparavant. Sur fond d’ Another one Bites the Dust de Queen, Clara et ses amis partent en virée sur cette large plage de Boa Viagem, et le premier coup d’œil qu’on a d’elle, c’est un très beau visage (celui de l’actrice Barbara Colen), encadré par des cheveux très courts qui font immédiatement penser à un traitement médical récent. Une scène qui se répond avec une autre, plus tard, où on la voit à la fenêtre de son appartement avec ces mêmes cheveux, d’une longueur extrême, symbolique du temps qui a passé, et symbolique de la victoire de Clara sur la maladie... De la même manière, une autre scène de ce même petit prologue ancre l’histoire de l’immeuble à travers les générations: on fête les soixante-dix ans de Lucia, une de ses propres tantes, son modèle en quelque sorte, belle à couper le souffle, un sourire amusée et le regard perdu dans les réminiscences de sa torride vie sexuelle passée montrée en flash-back explicite par le cinéaste, pendant que famille et amis font l’éloge de son intelligence et de ses réalisations passées (« N’oublions pas la révolution sexuelle » répondra-elle, mutine, face aux multiples retracements des jalons de son existence); des ébats intenses jusque sur une commode que l’on retrouvera des années plus tard à la même place, dans l’appartement qui est devenu celui de Clara…


Le film s’écoule sur un rythme ressenti comme un tantinet lent, dû peut-être à une durée un peu trop longue du métrage (2h25), mais également au côté répétitif de la routine du personnage principal. Ainsi la voit-on, d’abord comme une très belle femme avec une extraordinaire chevelure de jais, faisant les trois pas qui la séparent de l’océan pour s’y baigner quand bon lui semble. Kleber Mendonça Filho fait un très joli portrait de femme, une mère et grand-mère qui tient tête à sa propre famille que pourtant elle couve de toute sa tendresse, une famille autant inquiète de la voir seule dans cet immeuble, qu’intéressée par la revente à très bon prix d’un appartement dont sa fortune ancienne pourrait lui permettre de se passer. Clara est également une veuve d’assez longue date qui résiste à la solitude et n’hésite pas à se payer les services d’un jeune gigolo pour assouvir une sexualité encore vivace. Elle est surtout cette citoyenne qui campe dans son droit à vivre dans le souvenir de sa jeunesse passée en refusant de vendre, malgré les mauvais regards de ses anciens voisins pressés de toucher le pactole, mais plus encore, malgré les pressions de plus en plus violentes de Diego (Humberto Carrão), le jeune promoteur immobilier qui veut en découdre (« vous ne me connaissez pas, j’ai fait des études dans une école de commerce américaine, et c’est pour réussir ce projet coûte que coûte… » , lui dira-t-il sur un ton plein de menace à peine voilée) : c’est avec un vrai plaisir sensoriel et sensuel que Clara écoute encore et toujours ses disques de Queen, (Fat Bottomed Girl cette fois-ci) ou encore de Gilberto Gil et d’autres artistes que l’éclectisme et la culture du cinéaste lui-même lui feront aimer. Ces scènes sont intimistes, mais sont un vrai reflet de la vie contemporaine des brésiliens et de leurs problématiques actuelles, les riches contre les pauvres, les manigances politiciennes, les collusions et les corruptions de toutes sortes, etc.


L’indolence du film, couplée à une durée imposante, font qu’Aquarius ne rencontrera peut-être pas le succès que pourtant les thèmes qu’il porte, nombreux et d’actualité, auraient pu lui faire connaître. Dans la lignée de ses Bruits de Recife, Aquarius achève de donner une nouvelle tournure intéressante dans la carrière de Kleber Mendonça Filho.


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Bea_Dls
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le 17 nov. 2016

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Bea Dls

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