Arctic
6.5
Arctic

Film de Joe Penna (2019)

Rares sont les films de survie à accorder à l’espace environnant un rôle à part entière, une vie autonome faite de cycles et perturbée par des tempêtes, des pluies gelées, par ceux qui s’activent sur son sol, un ours blanc, un homme et une femme. Arctic adopte donc la démarche audacieuse d’un refus du spectaculaire au bénéfice d’une longue errance où l’intimité humaine trouve une expression physique dans les matières qu’elle affronte : la neige d’abord et surtout, la neige dans laquelle s’enfonce chaque pas péniblement accompli et constamment à refaire pour avancer, encore et encore, toujours plus loin en suivant la carte qui ne dit pas tout, masque les âpretés d’un relief indomptable et contre lequel on se heurte, guide néanmoins les corps souffrants dans un décor privé de chaleur, une lune de glace et de montagnes. La pierre ensuite, la pierre qui emprisonne la jambe ou s’arrache péniblement d’un sol pour dessiner, en noir sur blanc, un SOS. Celle, aussi, que l’on entasse par petits galets en guise de plaque funéraire.


Entre la neige et la pierre, entre la fragilité et la robustesse, un corps vite dédoublé. Le personnage interprété par Mads Mikkelsen, présenté au début comme un roc dont la vie s’avère soigneusement réglée et minutée, perçoit l’accident et l’arrivée de la jeune Russe sous l’angle d’un miroir lui révélant une réalité qu’il avait soigneusement tenue à l’écart : le combat contre la mort qu’il extériorisait par une organisation de la nature recouvre son aspect viscéral. Maintenir autrui en vie, c’est penser à sa mort potentielle, à sa mort à elle, donc à sa mort à soi. Une scène poignante place Overgård dans une situation de deuil avorté avant de le faire tombe dans une caverne recouverte de neige. Tout est dit, sans un mot. Si la femme succombe à la fragilité de son état, l’homme meurt également : on ne saurait dissocier intériorité et extériorité.


Dès lors, le récit de survie se double d’une réflexion psychologique sur ce qui pousse l’humain à résister, à affronter un environnement hostile dans l’espoir de trouver un réconfort, un peu de chaleur humaine. L’irruption de la secouriste blessée rappelle à Overgård l’importance du partage et de la famille : la sépulture de pierres, la photographie apparaissent comme des objets sacrés qui traduisent matériellement une foi. L’odyssée glacée s’apparente à un chemin de croix, l’homme allant jusqu’à sacrifier son manteau pour remédier à son malheur.


Sous son apparente linéarité, Arctic cache un cœur battant à l’unisson de ses deux personnages, accède à un je-ne-sais-quoi d’essentiel qui dit quelque chose de la condition humaine et de la solitude autant contemporaine qu’atemporelle. L’économie de ses effets décuple sa puissance cathartique et offre un beau moment de cinéma, simple et plus profond qu’il n’y paraît.

Fêtons_le_cinéma
8

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019

Créée

le 17 déc. 2019

Critique lue 146 fois

4 j'aime

Critique lue 146 fois

4

D'autres avis sur Arctic

Arctic
EricDebarnot
7

L'homme qui a vu l'ours (... qui a vu l'homme)

Le récit de survie est l'un genre des plus traditionnels dans la littérature (on dira que l'un des modèles est évidemment le "Robinson Crusoé" de Defoe), et par extension dans le cinéma. Sa fonction...

le 12 févr. 2019

28 j'aime

4

Arctic
dagrey
7

L'homme et l'enfer blanc

Naufragé dans le désert blanc et hostile de l'arctique, un homme réfugié dans une carcasse d'avion tente de survivre dans un froid polaire. Un évènement inattendu va le contraindre à changer ses...

le 13 févr. 2019

18 j'aime

4

Arctic
LaurentP
8

Critique de Arctic par Steve M

"Arctic" est superbement réalisé par Joe Penna. Pour son premier film le réalisateur Brésilien surtout connu avant pour sa chaîne You Tube "MysteryGuitarMan" consacrée à la musique expérimentale et...

le 8 mai 2019

10 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

87 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14