Début du film : du béton, gris, en 4/3. Une image qui paraît déprimante, isolée, un peu glauque. Puis vient la première scène du film, tout aussi grisonnante mais décalée, drôle par le sérieux déprimant du personnage. Le film baigne encore dans une ambiance réaliste. Puis vient la première scène du film qui m'a véritablement fait m'esclaffer : un jeune homme qui semble solitaire arrive en vélo devant deux jeunes dont on attendrait presque, sans doute après la vue de Dheepan, de l'agressivité. Au lieu de ça, je jeune homme les salue et reste debout, le regard perdu au loin. Soudain, une apparition saugrenue, une voiture bleue passe rapidement devant eux avec une musique techno à fond. Un temps, puis le jeune homme dit au revoir à ses potes et monte dans l'immeuble derrière lui.


Dans un sens, cette scène résume tout l'esprit du film : une banlieue isolée où chaque individu essaye de tromper sa solitude avec la magie de la vie, des événements incongrus qui donnent un sentiment d'évasion malgré leur surprenante banalité. Le jeune homme attend, que quelque chose se passe peut-être, mais n'a pas d'autre choix que de continuer sa vie.


Asphalte est un film fait de rencontres, lorgnant vers l'absurdité mais davantage dans un désir poétique d'aller contre les clichés que pour le comique du geste. Par ses personnages, ses dialogues, ses raccords, Asphalte sublime l'ennui, rend drôle le déprimant, rend beau le moche. L'important, contrairement à ce que dit La haine (que le réalisateur aime beaucoup alors que le maniérisme du film de Kassovitz semble aller à l'encontre de sa vision m'enfin), ce n'est pas l'atterrissage mais la beauté de la chute, la façon dont elle est vécue et perçue par les autres. Des chutes littérales, extraordinaires comme ordinaires, cosmiques et humaines.


Le film, comme son humour, possède un certain côté kistch, fake, figé, qu'il assume mais que le spectateur doit assumer en retour. Les personnages sont épurés au maximum (aucun figurant faire-valoir, très peu de passé explicite, une psychologie directe), et surjouent souvent. De manière un peu forcée parfois, notamment dans ce rôle déjà vu très "méta" d'actrice jouée par Isabelle Huppert, mais en symbiose parfaite avec le film dans son ensemble. Ces personnages manipulent des objets désuets, tels un appareil photo instantané, des cassettes vidéos, des téléphones fixes. Ils regardent aussi la télévision, des soaps américains en version française.


Autant de témoignages non pas tellement d'une époque, mais plutôt d'un état d'esprit, celui d'une banlieue isolée donc figée dans le temps, oubliée, que personne n'aide. Témoignages également d'un désir d'évasion, par le côté factice mais puissant d'une fiction, par la communication du téléphone, par le fantasme que peut-être un jour, un individu tel John McClane viendra les délivrer de ce "piège de béton" (témoignage aussi du coup de la précision et l'intelligence de la mise en scène de Samuel Benchetrit).


Tel le cri cosmique de la benne à ordures, chacun voit dans les signes du quotidien une certaine magie, un élément incompréhensiblement beau qui les font tenir, qui les font vivre. Un astronaute arrive de l'espace, mange du couscous et repart dans une tornade de polystyrène. La vie reprend son cours.



  • Eh Manu, tu descends ?

  • Je ne peux pas, l'ascenseur est bloqué.

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le 18 sept. 2015

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Antofisherb

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