Pour Quentin Dupieux, le monde est un théâtre absurde. Alors un commissariat, forcément, c'est pire. Et tant mieux, sinon, où irions nous ?


Dans la droite ligne de ses précédents films, Au poste ! est une comédie absurde à tendance surréaliste Mais cette fois-ci, peut être parce que c’est une production française, elle est beaucoup plus bavarde et se permet des jeux de langages du style :
-Je suis sorti pour respirer
-Non, on ne sort pas pour respirer, c’est idiot de dire ça.
-Ben si, avec tout l’insecticide que j’avais mis dans la pièce il fallait que je change d’air
-Mais non, quand on change d’air c’est pour aller à la mer ou à la montagne, pas quand on sort faire un tour.
-J’allais pas aller à la montagne, surtout sans prévenir ma femme qui dormait dans la chambre
-Admettons. Dans ce cas, il faut dire que vous êtes sorti pour respirer.
-Oui, c’est bien ce que j’ai dit
--Bon, continuons...


Tout le début est pétillant et hilarant, avec Poelvoorde en flic fatigué mais suspicieux et pointilleux, face à Grégoire Ludig en suspect cherchant à prouver son innocence, mais qui aimerait bien reporter l’interrogatoire pour manger un morceau avant de défaillir.


Les seconds rôles apportent également beaucoup de cocasserie, comme le flic bas de front à l’œil gauche flouté (belle trouvaille) ou la femme de ce dernier qui n’arrête pas de dire "C’est pour ça" à chaque bout de phrase et qui contamine tout le monde avec cette formule passe partout qui devient virale.

-Arrêtez de dire "C’est pour ça" sans arrêt, c’est énervant !
-Oui, mais c’est parce que ma femme le dit tout le temps, c’est pour ça.


Comme dans Réalité, la mise en abîme est fréquemment utilisée. Quand Grégoire Ludig relate les faits de la nuit du crime, on voit les scènes en flash-back. Et quand Poelvoorde raconte à son tour un souvenir, on voit aussi la scène en flash-back. Mais Ludig dit à Poelvoorde qu’il la voit, puis inversement celui-ci dira plus tard qu’il entend le bruit que décrit Ludig et apparaîtra à l’image dans le flash-back raconté par ce dernier. C’est donc tout le procédé du flash-back qui est mis en évidence et qui crée la situation comique.


De la même façon, plus tard, il y aura une mise en abîme à la manière de Bunuel dans Le charme discret de la bourgeoisie, avec le rideau de scène qui s’ouvre. Et plus tard encore une comédienne lira la critique du Figarock disant que la pièce qu’on vient de voir est à moitié géniale et à moitié ratée. Comme le film ?


Il y a encore un jeu sur les niveaux de réalité, avec des gags sur la temporalité (Ludig parlant avec la femme du flic, dans le flash-back, lui expliquant qu’il ne l’a pas encore rencontrée, mais qu’ils se verront plus tard), mais de manière moins complexe et sophistiquée que dans Réalité.


Malheureusement, s’il est très drôle et génial par moments, le film s’essouffle un peu à la longue. Le rythme a tendance à tomber et les dialogues brillants au début, deviennent un peu trop bavards. La mise en scène est également un peu plate et mériterait plus d’inventivité.
Dommage qu’il n’y ait pas plus de gags visuels comme celui de la séquence d’ouverture (un chef d’orchestre en maillot de bain qui dirige une symphonie, avec tout le sérieux que requiert sa tâche), ou comme le gag du flou sur l’œil.


Au poste ! ne provoque pas autant de vertiges que Réalité, ne possède pas autant de poésie que Wrong et est de facture plus classique, mais le film est tout de même plaisant et le final plutôt réjouissant. On y voit bien l’absurdité de l’univers de Dupieux : ce n’est pas parce que "c’est pour ça" qu’on va en déduire une conclusion logique, tout comme ce n'est pas parce qu'un suspect est innocent qu'on va cesser de l'interroger, ni qu'on va s'abstenir de le laisser mariner en prison.

Roinron
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le 8 juil. 2018

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