Dans la foulée de Jean-Pierre Jeunet, Mathieu Kassovitz et Gaspar Noé, Albert Dupontel est de ces réalisateurs qui, à l’aube des années 2000, cherchent à repeindre le cinéma français en imposant de nouvelles idées techniques et en élargissant les terrains de mise en scène. Vingt ans plus tard, il est clair qu’au delà d’un réalisateur ambitieux, sommeille en ce bougre un créateur hors-pair. Adaptation d’un best-seller de Pierre Lemaitre, lauréat du prix Goncourt, « Au revoir là-haut » part d’un postulat plutôt académique : celui du retour des soldats de Grande Guerre à la vie civile, et les difficultés qu’ils rencontrent à se réintégrer. Fort heureusement, Dupontel va beaucoup plus loin que le simple pamphlet historique. Il mélange la petite histoire dans la grande, fait tourner les émotions comme si il s’agissait d’un cyclone, transforme le manichéisme en ironie, se montrant grand public tout en gardant sa veine politiquement incorrecte.


« Au revoir là-haut » met en exergue toute la folie extravagante de son réalisateur, à travers un récit tissé sous la forme d’une errance intellectuelle, autant qu’il s’agit d’une parabole sur la guerre et ce qu’elle révèle chez les hommes. Chaque personnage est un archétype, comme notamment celui de Laurent Laffite, véritable ordure devant toute sa fortune à ses actes meurtriers en période de guerre, ou encore le « héros », campé par Nahuel Pérez Biscayart, poète se condamnant à vivre derrière des masques pour cacher son visage annihilé par les tranchées. Albert Dupontel, lui, interprète un vétéran philistin, le « monsieur tout le monde » du récit, mais se révélant extraordinairement attachant, insufflant au récit un humour salvateur.


On note d’emblée l’appétit pour l’image de Dupontel. Malgré un petit portefeuille, le réalisateur aime se montrer gourmand de lyrisme et de mélancolie, menant son film à des allures de superproduction. On retiendra notamment le magnifique travail de Cécile Kretschmar sur les masques. Tous on une signification, cristallisant l’état d’esprit du héros, son mal-être, sa manière de s’autodétruire. Et à travers ce contexte, « Au revoir là-haut » hurle une critique de cette société, tout en murmurant sur la notre. L’acuité de Dupontel arrive à son acmé. Le réalisateur en moins criard, plus dévastateur, et se montre ici presque jodorowskien en mélangeant poésie, comédie, et tragédie. Bref, « Au revoir là-haut » est garantie 200% cinéma. Chaque porte ouverte est un nouveau départ pour une intrigue qui ne cesse d’évoluer, de trouver des solutions, des clés, ne cessant jamais de captiver, s’aidant notamment de l’ultra-dynamisme de la mise en scène, déchainant un cyclone émotionnel gargantuesque.


Tendresse, outrance, tragédie, humour noir, poésie… « Au revoir là-haut » est un sommet d’inventivité, électrisant les regards tout en mettant en avant la condition de l’artiste, d’une façon extrêmement pertinente, pour ne pas dire tout simplement sublime. Dupontel exerce sur notre regard une pression à la fois ludique, passionnante, et cruellement émouvante. Si bien qu’il paraît difficile de se remettre d’une fresque aussi maitrisée, complète et intelligente. Au-delà des masques et des apparences, « Au revoir là-haut » capte une magie, un souffle unique, désespéré, et pourtant d’une noblesse inouïe. Une fable contemporaine bouleversante et flamboyante à laquelle on aimerai ne jamais dire « au revoir ».


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Kiwi-
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le 25 oct. 2017

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