Je me souviens de ce buzz qui frétillait en marge de la coupe du monde de foot co-organisée par le Japon et la Corée du Sud en 2002. Des voix, des grognements, des hurlements s'élevaient péniblement de la bien-pensante Occident pour que cette compétition soit retirée au "pays du matin calme" au seul motif que certains de ses autochtones soient plus friands de viande canine que de noble foie gras produit dans des conditions abominables.

On a pourtant vite fait de dénicher une frange de notre mémoire honteusement enfouie sous un tapis comme ce "marché au chien" qui se tenait rue Saint-Honoré à Paris, ces boucheries canines spécialisées qui parsemaient la France jusqu'à la première moitié du XXème siècle ou les autorités du Troisième Reich qui instaurèrent un contrôle sanitaire sur cette marchandise usuelle en 1943...
Actuellement en Suisse, il est interdit de commercialiser de la viande de chien. Cependant, aucune loi n'interdit sa consommation à titre privé. Dans les cantons d'Appenzell et de Saint-Gall, certains fermiers continuent à produire des charcuteries à base de chiens d'une race dérivée des Rottweilers.

Bien que tombant en désuétude, la cynophagie est une particularité culinaire ancestrale en Chine, Corée, Vietnam, Philippines ou Laos. Cette viande souvent consommée en fondue et prétendument très tendre serait aussi riche en protéines que ses concurrentes bovines, de volaille ou de porc. Néanmoins cette pratique est de plus en plus controversée. Le chien a pratiquement disparu des menus, devenu répugnant pour les populations néo-bourgeoises élevant désormais un toutou et il ne nourrit plus que quelques gourmets dans les campagnes les plus reculées.
De son côté, la cuisine vietnamienne prend en compte la proximité homme/chien en sélectionnant les candidats qui entreront dans son menu par un simple procédé : une assiette de viandes canine est présentée au mammifère qui sera digne d'être le compagnon de l'homme s'il refuse de se cannibaliser ou sera destiné à flatter la panse des clients s'il en ingère.

En Corée, à l'époque de la dynastie Chosun, le chien n'était absolument pas considéré comme un membre de la famille. Désormais de plus en plus de coréens (surnommés jadis "les chiens jaunes mangeurs d'aïl" par les japonais) adoptent un chien dans leur foyer et c’est pourquoi actuellement en Corée deux opinions divergent...

Cette division est flagrante dans "Barking Dogs Never Bite" de Bong Joon-Ho qu'il exploite via quelques personnages d'un quartier populaire et anxiogène dont un jeune diplômé au chômage soumis comme un clébard aux pieds de sa maîtresse de femme et qui ne supportant plus les aboiements permanents des yinches du tiécar, s'improvise "dognapper" pour faire régner le calme. Il est concurrencé dans sa quête par le vieux gardien de son immeuble, niché dans les sous-sols où il perpétue la popote canine traditionnelle sur son réchaud à gaz. Il y a aussi cet obscure SDF, véritable chien errant qui se terre comme une ombre dans un container à vêtement et une jeune fille rêveuse, parfois conne comme un caniche et flirtant avec la dépression.
Tous ces êtres se mélangent dans une ambiance proche d'un thriller teintée de mélancolie, de loufoquerie et de drame.

4 ans avant « Memories Of Murder », Bong Joon-Ho est encore frêle pour véritablement imposé sa patte. Le ton humoristique employé est propre aux films asiat' tout comme ses sempiternels personnages exagérément naïfs qui peuvent rebuter le spectateur occidental lambda. Toutefois le film regorge de flamboyances tant au niveau réalisation que scénaristique bien que le traitement apporté à l'image lui donne des allures de bâtard entre cinéma et téléfilm.

De la cynophilie pour cinéphage. "Barking Dogs Never Bite" est une fine réflexion et une approche parodique de la considération des chiens dans la société coréenne. Ils apparaissent envahissants (les aboiements, assimilation à un enfant), attendrissants, pitoyables (les maltraitances ou leur rôle de compagnon de survie auprès de personnes âgées ou fragiles) sans occulter l'utilité première du chien en Corée et respecter un pan d'une culture culinaire qui s'effrite jour après jour.
Lazein
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le 12 mai 2014

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Laz' eïn

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