Contrairement à ce que pourraient laisser à penser les apparences, le titre du présent papier n’est pas une tentative de lancer un nouvel ashtag sur les réseaux sociaux mais, sans surprise, il m’est difficile de ne pas remettre le sujet « Batman v Superman » (« BvS » pour la suite) sur la table après avoir découvert le Superman de James Gunn.
Comparer ce dernier avec Man of Steel n’apparaît pas comme étant le plus pertinent à mon humble avis dans la mesure où le film qui nous a présenté Henry Cavill dans le rôle du Kryptonien aurait pu se suffire à lui-même (tout comme The Batman de Matt Reeves, à quelques ajustements près, d’ailleurs mais avec ce genre de figure il est difficile d’imaginer que les producteurs s’en tiennent à un one shot, sans compter qu’il s’agit d’un tout autre débat…) et n’avait pas véritablement les mêmes ambitions (affichées, du moins) que celles du film porté par David Corenswet.
La donne ne change que trois ans après la sortie de Man of Steel lorsque Snyder est venu étendre, non sans quelques maladresses, son terrain de jeu avec BvS (la course contre la montre avec Marvel, qui était déjà bien avancé, oblige) qui se veut le véritable socle (et la fin ?) de son univers DC. Pour ce faire, celui qui avait adapté Watchmen sur grand écran avait échafaudé un lourd cahier des charges qui avait pour avantage de reposer sur des icônes de la pop culture plus ou moins bien connues du public (d’aucuns diront qu’il s’est avéré trop ambitieux malgré tout).
Néanmoins, ce n’est pas tant la manière dont le réalisateur des Gardiens de la Galaxie nous présente son univers DC flambant neuf, où grouillent des meta humains depuis plusieurs siècles, qui rappelle BvS (les annonces faites durant le tournage pouvaient pourtant aisément nous amener à penser que Gunn allait mettre sa liste de cadeaux de Noël sur pellicule) mais plutôt les questions d’ordre politique qui y sont abordées (lesquelles portent principalement sur la place que devrait occuper Superman sur notre planète bleue). Si celles-ci sont en effet très similaires, le traitement qui leur est réservé est, quant à lui, radicalement différent dans la mesure où Zack Snyder prenait son sujet (ainsi que la mythologie des super-héros, au point de la rendre tape à l’œil, soit dit en passant) au sérieux tandis que James Gunn a opté pour la caricature, que ce soit au niveau du contexte ou de l’écriture (des personnages comme des dialogues), et a préféré mettre l’accent sur le divertissement (au détriment de l’intensité, laquelle peut essentiellement être décelée durant une partie de roulette russe des plus expéditives).
Avec un peu de recul, le Superman de 2025, qui a pour mission de faire table (semi) rase de l'univers cinématographique DC est, non sans une certaine ironie, un croisement entre BvS et Black Adam (la Justice Society laissant sa place au Justice Gang), deux films figurant sur la liste des œuvres à rayer de la carte, le tout relevé par une bonne pincée de sel, plus digeste qu’attendue, dont James Gunn a pu agrémenté ses précédents films. L’humour y occupe donc, comme on pouvait s’y attendre, une place importante et un trop plein de bon sentiment peut se faire sentir notamment à l’occasion du discours tenu par le père adoptif de l’alien (fulgurance qui semble venir tout droit de Call me by your Name) ou encore celui tenu par le super-héros à la fin du film qui met en avant son humanité. La naïveté et la décontraction qui caractérisent cette nouvelle version contrastent bien entendu avec le réalisme et l’austérité des films de Snyder. D'une certaine manière, James Gunn ramène Superman à notre portée, notamment à celle des plus jeunes qui avaient vu leur super-héros pris en otage par un Snyder qui cherchait à élever le personnage et l'exercice même de l'adaptation de comics.
A titre purement personnel, il apparaît regrettable de voir que la vision du réalisateur de 300 ait dû être avortée prématurément. Si Man of Steel et (surtout) BvS n’étaient pas sans défauts et pouvaient cruellement manqué de subtilité, ils dénotaient de par leur fond et leur maturité en challengeant un spectateur qui s’apprêtait à être de plus en plus abruti par la Maison des Idées. Cela explique sans doute pourquoi le Superman d’Henry Cavill n’a jamais fait l’unanimité, notamment auprès des lecteurs de comics.
Malheureusement, le reste de la galerie introduite dans BvS n’est pas venu arranger les choses (loin de là) et n’a pas été épargnée par la critique. En son centre, telle une araignée au milieu d’une toile, Snyder a fait le choix d’y placer un Lex Luthor chevelu et (très) bien informé qui tire les ficelles dans l’ombre, en attisant la peur et la colère d’un Batman incarné par Ben Affleck qui succédait de manière radicale et violente au Chevalier Noir de Christian Bale, jusqu’à attraper dans ses filets, entre autres, le dégoulinant de CGI Doomsday et l’Amazone de Gal Gadot. Ces derniers viendront déséquilibrer le récit, lequel s’attarde longuement sur une confrontation plus psychologique que physique entre les deux figures emblématiques de l’écurie DC (au grand dam de beaucoup), et donneront lieu à un final épileptique qui n’en demeure pas moins épique, bien que moins intéressant par rapport à ce que le film a proposé précédemment.
Car oui, c’est justement la manière dont est entretenue la tension entre le « fils de Krypton » et la « Chauve-souris de Gotham » qui rend BvS si intéressant et prenant : qui aurait cru qu’un film de super-héros viendrait traiter de la relation qui unit et oppose l’Homme à Dieu ? Qui plus est, la surprise ne s’arrêtait pas là car le scénario étendait ce prisme thématique au delà du « plus grand combat de gladiateurs de l’Histoire de l'humanité » annoncé (à tort) en grande pompe pour le recentrer sur un millionnaire complexé et manipulateur qui est très certainement, lui aussi, trop éloigné du personnage des comics mais qui tiendra, à mes yeux, toujours bon (lui et ses excentricités qui rappellent aussi bien le Joker que le Riddler) face à la version de Nicholas Hoult qui préfère jouer à Tekken (en contrôlant les faits et gestes d'un clone du Kryptonien, ce qui nous rappelle bien trop Logan) pour venir (presque) à bout de son ennemi volant de toujours (vous m’excuserez ce petit pic mais la promo du film de Gunn a eu raison de moi)…
En complément d'un casting solide (petite mention spéciale, au passage, pour Jeremy Irons qui prêtait ses traits à un Alfred plus affûté et cynique que d'ordinaire, avant de retrouver, des années plus tard, l'univers DC avec la série Watchmen), Zack Snyder mettait son sens du spectaculaire au service de nos rétines (notamment à l'occasion de la séquence cauchemardesque Knightmare qui, à elle seule, nous donnait l'envie de voir sa vision se poursuivre, ne serait-ce que pour revoir un Batman qui n'en a jamais autant imposé) et Hans Zimmer nous gratifiait de thèmes musicaux musclés et intenses, de quoi nous promettre un bel « age of heroes » (ça le fait mieux en anglais, ne nous en privons pas). Ce n’était sans compter sur les facilités (principalement celle portant sur la résolution de l’affrontement titre et sur laquelle il est inutile de revenir plus en détail tant elle a marqué les mémoires au fer rouge, jusqu’à écraser tout ce que le film avait à offrir) et l’effet « publicité mensongère » qui ont eu raison de BvS aux yeux du public...
Ironiquement, le sous-titre (« Dawn of Justice ») qui accompagne « BvS » ne pouvait pas lui convenir davantage : le second film du (feu) DCEU signé par Snyder sera toujours une frontière au delà de laquelle les films qui l’ont suivi se sont égarés (on épargnera toutefois Wonder Woman, premier du nom, en ce qu’il s’inscrivait convenablement dans le sillage tracé par le Man of Steel). Même la Justice League, et ce quelque soit la version (précision qui viendra peut-être, espérons le, apporter un peu de nuance à ce papier qui se veut pro Snyder), n’a pas été à la hauteur pour raccrocher les wagons : à l’instar de Star Wars VII, BvS s’avère être une rampe de lancement imparfaite mais pleine de promesses qui n’ont pas été tenues… L’aube d’un soleil qui ne s’est jamais levé en somme.
C’est sur cette note poétique, ô combien inspirée, que se conclura cette défense, assez vaine, j’en conviens, les années ne semblant pas avoir d’incidence sur l’appréciation globale du film (laquelle risque d’être mise à mal par l’engouement Gunn) : si le « vrai commencement du DCU » n’a pas été un calvaire aussi affligeant que ne l’a été The Suicide Squad, il suscite tout de même une vive nostalgie quant à BvS, film que le public méritait mais dont il n'avait et n’a pas encore besoin… un jour, qui sait ?