Watchmen
7.7
Watchmen

Série HBO (2019)

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Entre la nouvelle tentative d'adaptation de la saga littéraire His Dark Materials des années après un essai pour le moins laborieux au cinéma, un retour dans une galaxie très lointaine avec The Mandalorian ou encore la suite très controversée du comics Watchmen, cette fin d'année, du côté du petit écran, a été marquée par des séries qui ont eu pour vocation d'explorer de nouveaux horizons dans des univers (plus ou moins) bien connus du grand public et c'est de celle qui conclut cette courte liste dont je voudrais vous parler, (beaucoup) plus en détail, ici.


Car oui, faire une suite au comics culte d'Alan Moore ne va pas sans risque et cela a son importance quant à l'appréciation de la nouvelle série d'HBO : il ne s'agit pas d'adapter le roman graphique super-héroïque, comme l'avait fait Zack Snyder en 2009, mais de bel et bien raconter les évènements qui se sont déroulés des années après la mise en œuvre de la mascarade d'Ozymandias pour éviter la troisième Guerre Mondiale. Partant, la série de Damon Lindelof s'adresse exclusivement aux fans du comics : si l'adaptation cinématographique constitue une très bonne base pour pouvoir comprendre les enjeux, certaines choses échapperont à ceux qui ne se sont pas plonger dans la lecture de la bande dessinée (on peut notamment faire allusion aux averses d'aliens, la fin du comics étant différente de celle du film). Dans cette logique d'exclusion, la série replonge directement le spectateur dans l'univers du Dr. Manhattan, la tête la première, sans donner le moindre repère à ceux qui ne sont pas familiers avec ce dernier (les allusions ne manquent pas mais se font discrètes et ne s'adressent, encore une fois, qu'à ceux qui pourront les déceler). N'allez pas croire que j'estime faire partie d'une quelconque élite en tenant de tels propos mais je tenais à souligner le fait que le créateur de The Leftovers n'a pas cherché à rendre sa nouvelle série accessible aux non-initiés s'il m'est permis de m'exprimer ainsi. Pourtant, assez tôt, les intentions de Lindelof étaient annoncées bien avant la diffusion du premier épisode. De ce fait, je fus assez surpris de constater l'obstination de certains à s'acharner à enchaîner les épisodes au fil des semaines sans prendre le temps de se pencher sur le roman graphique ou sur le film de Snyder.


Le moment est venu de vous informer, cher lecteur, chère lectrice, que les paragraphes qui suivent contiennent de nombreux spoilers. Par conséquent, je vous conseille de poursuivre votre lecture une fois le visionnage de la première saison terminé.


Pour parler du scénario en lui-même, la série se passe de nos jours dans cet univers parallèle où le temps n'épargne, là non plus, personne (ou plutôt quasiment personne). Ce sont donc des versions plus âgées des quelques personnages du comics (celui-ci se passant en 1985) que nous sommes amenés à recroiser. Le traitement qui leur est réservé est intéressant puisque la société a été grandement influencée par leur histoire (les séquelles laissées par le 2 novembre 1985, date historique au cours de laquelle un calamar gigantesque se matérialisa en plein New York, entraînant la mort de millions de personnes, ne se sont jamais refermées) mais, dans le même temps, il y a une sorte de mysticisme qui les entoure.


Afin de mieux illustrer ce propos je me dois de vous dire un mot sur le personnage d'Angela Abar qui se veut être la protagoniste principale de la série : policière justicière connue sous le nom de Sister Night, elle va mener la lutte contre un mouvement terroriste ainsi qu'une quête identitaire, tout en n'oubliant pas son rôle d'épouse et de mère par substitution. La mystérieuse mort du chef de la police de Tulsa est l'élément déclencheur de l'histoire car c'est à partir de ce moment que, d'une part, Angela va commencer à s'intéresser à ses origines (le principal suspect étant nul autre que son grand-père dont elle n'a jamais entendu parler jusqu'ici) et, d'autre part, croiser le chemin de Laurie Blake, l'ancienne Silver Specter et ex du Dr. Manhattan et du Owl, venue tout droit de DC pour enquêter sur l'affaire, étant devenue agent du FBI, après avoir rangé son costume de super-héros au placard (je profite de l’occasion pour remarquer que Blake est incarnée par Jean Smart qui retrouve l'univers des comics book après avoir figuré dans la distribution de la série Legion de Noah Hawley et qui insuffle au personnage un cynisme, une perspicacité et une franchise qu'on ne lui connaissait pas). C'est en conversant avec cette dernière qu'Angela apprend, non sans un certain étonnement, que ce qui est relaté dans une série télévisée intitulée sobrement American Hero Story se soit réellement passé (notamment, à propos des Minute Men). Cette mise en abime, consistant à emboîter une série dans une autre, est, au passage, l'une des références-hommages au comics les plus marquantes. D'ailleurs, Lindelof ne s'est pas arrêté là puisqu'il sème, au fil des épisodes, des clins d'œil à The Tale of the Black Freighter, le comics dans Le comics, ainsi qu'au film de Snyder. En outre, on notera durant ce même dialogue du quatrième épisode un écho au discours tenu par le Joker dans Killing Joke, autre comics culte d'Alan Moore, lorsqu'il tente de savoir pourquoi Batman était Batman ("did nuns murder your parents?" demande Laurie à Sister Night). Juste avant, la réplique de l'ex Silver Specter ("people who wear masks are driven by trauma. They are obsessed with justice because of some injustice they suffered, usually when they were kids") peut être même perçue comme une allusion directe au Chevalier Noir de Gotham.


Pour rester sur la thématique du masque, un contraste frappant entre l’œuvre de Moore et la série se constate : tandis qu'en 1977, le Keene Act rend illégale l'activité des justiciers masqués, en 2019, les policiers de Tulsa, pour mieux se protéger, sont forcés d'exercer leur profession en costume de super-héros ou, simplement, de porter un masque. Cela a pour conséquence de brouiller les limites entre les good guys et les bad guys dans la mesure où les membres de la Septième Kavalerie, le groupe terroriste auquel fait face la police de Tulsa, ainsi que les justiciers indépendants, qui sont toujours des hors-la-loi, le Keene Act demeurant en vigueur, portent eux aussi des masques ("- You know how you can tell the difference between a masked cop and a vigilante? - No. - Me neither." dit Laurie, tout juste débarquée de Washington, à Angela lors de leur première conversation). Le cas le plus intéressant sur le sujet est, selon moi, celui de Wade Tillman.


Si Rorschach ne revient pas (et heureusement) d'entre les morts, la série introduit son digne successeur en la personne de celui qui est plus connu sous le nom de Looking Glass : entre la conception qu'ils ont de leur masque, leur voix particulièrement caverneuse ou encore le fait que le détecteur de racisme mis au point par Glass recourt aux tâches d'encres du fameux test psychologique, il est, en effet, difficile de ne pas penser au justicier-détective lorsque nous est introduit ce nouveau personnage. En toute objectivité, on pourrait presque reprocher que la ressemblance entre les deux soit trop prononcée, certains clins d’œil manquant en subtilité. Néanmoins, force est d'admettre qu'il est difficile de ne pas s'attacher au personnage incarné par un Tim Blake Nelson très convaincant et qui a droit à un épisode-portrait en milieu de saison qui fait véritablement le lien avec la fin du comics et ses répercussions et au cours duquel nous apprenons, justement, que Wade est rentré dans la police pour pouvoir porter un masque constamment, non pas parce qu'il a toujours rêver d'avoir une identité secrète et de jouer au super-héros, mais parce que son masque, de par sa composition particulière, le protège des ondes de choc psychiques auxquelles il a été exposé le 2 novembre 1985. Par ailleurs, son masque est intéressant à plus d'un titre puisque Glass l'utilise durant ses interrogatoires et symbolise en même temps le traumatisme de Wade (un autre rapprochement avec Batman peut donc, là aussi, être fait). De plus, comme je le sous-entendais précédemment lorsque j'évoquais l'idée de conception, le masque de Wade fini par devenir son visage (il le porte chez lui, y compris, quand il est seul et dort même avec), ce qui fait naturellement penser à la réplique "give me back my face" de Walter Kovacs, l'homme qui se cache sous le masque aux tâches mouvantes, qu'il assène aux policiers lors de son arrestation en 1985. En outre, j'en profite pour souligner le fait que Wade porte sur ses épaules l'une des séquences les plus intenses de cette saison au cours de laquelle lui est révélée la supercherie d'Adrian Veidt (seules quelques personnes haut placées en ont connaissance) : il s'agit d'un moment clé de l'épisode Little Fear of Lightning puisque celui-ci s'attarde sur le traumatisme du personnage (on y apprend qu'il est obsédé par la sécurité de son bunker et anime un groupe de victimes collatérales du 2 novembre 1985) mais également d'un moment clé de la saison, prise dans son ensemble, puisqu'elle permet de ramener Ozymandias au cœur du récit.


En effet, parallèlement à l'enquête menée par Angela et aux autres événements qui se trament à Tulsa, nous suivons, et ce depuis le premier épisode, un Ozymandias incarné par un Jeremy Irons qui se laisse désiré. Le voile entourant l'arc de ce dernier se lève peu à peu au fil des séquences qui lui sont consacrées : malgré les apparences, l'homme le plus intelligent de la planète ne passe pas sa retraite dans un manoir en rase campagne anglaise où il s'adonne à des expériences scientifiques avec l'assistance de servants-clones et s'essaye à la rédaction d'une pièce de théâtre mais est, en réalité, prisonnier sur une lune de Jupiter dont il essaye de s'échapper. Son arc est donc déconnecté de l'ensemble et pour cause puisqu'il est, sur Terre, présumé mort et a même été succédé par Lady Trieu, personnage inédit au combien énigmatique qui est introduit par l'une des séquences les plus mémorables de la série et qui semble en savoir plus que le commun des mortels à son sujet mais également sur la menace que représente réellement la Septième Kavalerie : contrairement à ce qui nous est expliqué depuis le premier épisode, ce groupe d'extrémistes n'a pas pour cible première les gardiens de l'ordre de Tulsa mais cherche à reproduire les pouvoirs du Dr. Manhattan (une fois cette information révélée, le salut du groupe Cyclops, l'ancien nom de la Septième Kavalerie durant les années 1940’s, consistant à former un cercle avec le pouce et le majeur au niveau du front, prend une toute autre dimension). Il n'est pas anodin de rappeler ici que lesdits terroristes se revendiquent comme étant des disciples de Rorschach et soutiennent un discours suprématistes blanc. Or, l'un des rapports mis en ligne par Petey, l'assistant de Laurie Blake, sur le site Peteypedia, nous apprend que l'authenticité du Rorschach’s Journal, qui a été publié par le journal New Frontiersman, n'a jamais pu être vérifiée, laissant à penser que leur idéologie renouvelée repose, elle aussi, sur un mensonge.


Evoquer les dossiers de Petey m'amène à ouvrir une courte parenthèse sur une autre référence-hommage qui se doit d'être mentionnée : il s'agit de l'effort d'immersion dans l'univers Watchmen dont HBO a fait preuve avec la tenue du site fictif mentionné ci-avant, chaque semaine, agrémentant les épisodes de compléments d'informations diverses à la manière des annexes qui entrecoupent les chapitres du comics dans certains éditions intégrales. On y apprend notamment comment Laurie Blake a été enrôlée de force par le FBI ou encore que Dan Dreiberg a financé le nouvel équipement high tech des forces de police américaine. Ces dossiers poussent les plus curieux à échafauder des théories, certains articles étant délibérément rédigés pour mettre le lecteur sur de fausses pistes (cela étant dit, il est à noter que, à l’inverse, certains indices intelligemment dissimulés permettaient de désamorcer certains twists). Le personnage de Panda, autre policier-justicier et grand amateur de American Hero Story, contribue également à cette incitation en partageant ses idées les plus saugrenues avec ses collègues ("I'm telling you: Hooded Justice is Dr. Manhattan" peut-on l'entendre dire dans le cinquième épisode).


Manque de bol, au risque de décevoir l'officier au masque-peluche qui devrait faire un tour dans une laverie, le sixième épisode nous révèle la véritable identité de Hooded Justice, qui n'est autre que Will, le grand-père d'Angela. Si j'ai pu relever des allusions à l'Homme Chauve-souris dans les paragraphes précédents, il est maintenant temps de mentionner Superman car sa back story n'est pas sans rappeler celle du justicier à la corde à nœud coulant, les deux personnages ayant été séparés de leurs parents à un très jeune âge afin d'assurer leur protection des violences auxquelles font face ces derniers (l'un des titres de la bande son s'intitule même Orphans of Krypton) et deviennent, plus tard, deux super-héros iconiques qui en ont inspirer d'autres et même lancer un mouvement avec la Justice Leage, pour l'un, et les Minute Men, pour l'autre. L'épisode renforce le parallèle en glissant une référence frontale au protecteur de Metropolis, celui-ci étant, dans cet univers, comme dans le nôtre, un personnage de comics. On peut même aller jusqu'à dire que l'idée de devenir Hooded Justice se soit inconsciemment affermie dans l'esprit de Will en entendant parler du Kryptonien à l'occasion de la parution des premières aventures de ce dernier (l'assimilation entre les deux personnages est portée à l'écran par l'utilisation de flash back, ce qui sous-entend que Will s'est immédiatement identifié au super-héros), bien que le Shérif Reeves, personnage principal du film muet fictif Trust in the Law! ait également sa part de responsabilité dans la création du justicier masqué. Cet épisode, intitulé This Extraordinary Being (titre que l'on doit à Hollis Mason, le premier Nite Owl, qui décrit dans ses mémoires et dans ces termes Hooded Justice mais qui sied aussi au Dr. Manhattan ou encore à Superman), est, au passage, le plus ambitieux de cette saison, aussi bien au niveau de l'écriture (on lui pardonnera la facilité scénaristique concernant le dernier souvenir vécu par Angela) que de la réalisation, même si j’avoue avoir été laissé sur ma faim sur le second point, m'attendant à ce que la mise en scène joue davantage sur les jeux d'altération des souvenirs, à la manière de ce qu'avait proposé Michel Gondry dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, l'épisode étant un trip mémoriel en noir et blanc. En revanche, les jeux de couleurs y sont appréciables car ils font écho à la description d'une scène du film Pale Horse de Spielberg (La Liste de Schindler de l'univers Watchmen qui a pour sujet non plus la Shoah mais la catastrophe du 2 novembre 1985) que l'on entend dans le cinquième épisode et l'ambiance musicale fait beaucoup penser à celle de Birdman de Alejandro González Inárritu.


Permettez moi maintenant de faire une petite marche arrière pour vous parler davantage de Lady Trieu car, si je mets de côté l’atout non négligeable dont profite cette dernière en prenant les traits d'une Hong Chau aussi indéchiffrable que charismatique, l'intérêt que je porte à ce personnage s'explique par le fait qu'elle peut être décrite comme un croisement entre Ozymandias et le Dr. Manhattan. Le rapprochement avec le premier est le plus évident puisqu'elle est l'une des personnes les plus riches des Etats-Unis (elle a racheté la compagnie d'Adrian Veidt) et a quatre doctorats (merci Petey !), donc un certain intellect. On peut noter que ce lien entre les deux personnages se retrouve jusque dans la bande son avec le Lacrimosa du Requiem de Mozart que l'on entend dans le septième épisode et se caractérise aussi, dans une moindre mesure, avec le délire des clones auquel ils sont tous deux attachés. Sur ce dernier point, un parallèle peut être établi entre l’usage que fait Adrian Veidt de ses servants et ce qui est narré dans The Tale of the Black Freighter où le personnage principal fait un radeau de fortune avec les cadavres des membres de son équipage, ce qui boucle la boucle en quelque sorte puisque l’histoire racontée par l’auteur du comics, Max Shea, est censé imager le plan sauvetage de l’humanité mis en œuvre par Veidt et ses conséquences. La ressemblance de Lady Trieu avec le Dr. Manhattan saute peut-être moins aux yeux car elle est en rapport avec la perception qu'ils ont du temps : en effet, suite à sa transformation, Jon Osterman ne distingue plus le passé, le présent, ni le futur, tels Abbott et Costello, les heptapodes d'Arrival (il faut croire que tout est une histoire de cercle). Or, Lady Trieu a constamment une longueur d’avance sur tout le monde et c'est précisément cette impression d'avoir toutes les cartes en main, de savoir des choses qu'ils ne sont pas censés savoir, qui confère à ces protagonistes un caractère omnipotent. En revanche, contrairement au Superman Bleu, Lady Trieu a un agenda puisqu'elle souhaite, tout comme Ozymandias, sauver l'humanité à sa manière. De plus, un côté calculateur se décèle derrière le visage de la vietnamienne : l'un des exemples les plus pertinents pour illustrer cette idée est, selon moi, le mensonge qu'elle entretient en faisant croire au reste du monde que le Dr. Manhattan vit sur Mars. Là encore, on retrouve quelque chose de très similaire avec Adrian Veidt qui, par le biais d'averses de poulpes extraterrestres programmées, cherche à raviver le traumatisme du 2 novembre 1985 dans les mémoires afin de préserver sa paix, depuis l'Antarctique où il vit en autarcie, comme il nous l'est expliqué dans A God walks into Abar.


Par où commencer pour parler de ce huitième épisode ? Et bien peut-être simplement en disant que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu une envie aussi prononcée de revoir l'épisode d'une série quelques heures après son visionnage. Ces quelques soixante minutes sont si denses et apportent tellement de pièces pour reconstituer le puzzle qu'est cette série qu'elles en deviennent fascinantes. La grande force de l'épisode repose principalement dans sa narration : s'il souffre de quelques défauts en termes d'effets spéciaux, on ne peut qu'être admiratif devant ce bel hommage au chapitre IV Watchmaker du comics. A la manière de l'épisode She was killed by space junk (titre qui prend tout son sens lors de l’épisode final), l'écriture s'articule autour d'un fil rouge, en l'occurrence, la rencontre entre Angela et le Dr. Manhattan et, de là, s'entremêlent différents moments de la vie du couple avec un effet de va-et-vient parfaitement maîtrisé (la réplique "I'm beeing torn apart right now" est celle qui m'a le plus marqué et qui traduit, selon moi, le mieux le revers de la médaille de l'existence du Dr. Manhattan). On y apprend où se trouve Adrian Veidt et le pourquoi ainsi que le comment du masque et de l'amnésie de Jon, celui-ci ayant décidé de devenir mortel pour vivre avec sa bien-aimée. Comme le remarque Angela lors de sa première conversation avec Jon, présenter les choses ainsi donne un aspect très tragédie grecque à leur histoire mais il y a aussi une dimension chrétienne avec le Paradis sur la lune de Jupiter, les Adam et Eve (on aperçoit carrément et furtivement la pomme, histoire d'enfoncer le clou) et la figure christique que l'on retrouve chez Veidt. Cet épisode illustre également ce que dit Dr. Manhattan à Laurie sur Mars dans le chapitre The Darkness of Mere Being : "I'm just a puppet who can see the strings" (d’ailleurs, on notera que la poupée apparaît littéralement dans le septième épisode). Au fond, Jon n'avait aucune raison particulière d'aller dans ce bar au Viêt-Nam pour accoster cette policière et pourtant... Avoir conscience de ce qui va se produire n'est pas un pré requis, ni même la solution, pour empêcher aux choses d'arriver. C'est l'implacable prédestination qui rend cet être supérieur vulnérable. Angela subit, elle aussi, l'ironie du sort de plein fouet dans cet épisode en réalisant qu'elle est responsable de la mort du shérif Crawford. Bien que l'on peut voir venir le bootstrap paradox ("Google it!") au fur et à mesure que les minutes passent, cela ne prive en rien le twist de son effet. Enfin, il m’a été difficile de ne pas penser au Grand Budapest Hotel de Wes Anderson en regardant la scène post générique dans laquelle Adrian trouve un fer à cheval dans son gâteau, lui permettant de s’échapper de la prison (dans la prison) dans laquelle il s’est retrouvé après avoir perdu son procès contre ses clones servants.


Avant de vous parler de l’épisode final, je me permets d’émettre un reproche au sujet du déséquilibre, en termes d’écriture, qui se constate dans le dernier acte de la saison : bien qu’elle permet de développer considérablement Will Reeves et le Dr. Manhattan, l’importance accordée à Angela est telle qu'elle occulte complètement les autres personnages, tels que Looking Glass et Laurie Blake, qui sont, il faut l’admettre, plus secondaires mais qui ont pourtant eu droit, eux-aussi, à un traitement approfondi. Partant, il est frustrant de constater que Wade Tilman, après avoir été sous les feux des projecteurs le temps d’un épisode qui est celui que je considère comme étant le meilleur de cette saison, est absent durant trois épisodes consécutifs pour ne réapparaître qu’à la toute fin, à l’occasion d’un dernier épisode qui compte moult rebondissements. Sans rentrer trop dans le détail, ceux qui m’on le plus marqué concernent Adrian Veidt : on y apprend qu’il est le père de Lady Trieu (ce qui tombait sous le sens au regard de ce qui a été dit précédemment) qu’il était l’instigateur du jeu de rôle dont il a pris part sur la lune de Jupiter et, surtout, qu’il était la statue du vivarium de la vietnamienne (ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’il advient d’Han Solo dans Empire Strikes Back). Le trio qu'il forme avec Blake et Tilman, aussi improbable et court soit-il, est très plaisant également (je suppose que ce qui est particulièrement appréciable c'est de voir Jeremy Irons interagir avec les autres acteurs de la série). La seconde chose qui m’a plu avec ce dernier épisode porte sur l’un des thèmes récurrents de cette saison : la White Night.


Nuit sanglante au cours de laquelle la 7ème Kavalerie a attaqué de front les policiers de Tulsa, la White Night est, à l'instar du massacre de Tulsa de 1921 (qui s'est, pour le coup, réellement passé) un élément de contexte essentiel de la série qui ne cesse d’être évoqué, sans pour autant monopoliser l’attention du spectateur. Autrement dit, il nous est clairement expliqué en quoi cette date est importante et ses répercussions dès les premiers épisodes mais cet événement ne semble pas être le cœur du récit. Pourtant, et c'est ce qui a su me surprendre, l’ampleur de cette toile de fond connaît une progression à la fois percutante et subtile. Pour présenter les choses de manière plus concrète, l’écriture de cet arc peut être scindée en trois actes : dans un premier temps, il nous est expliqué qu’à la suite de cette nuit de Noël 2016, une loi a été adoptée afin de permettre aux policiers de porter des masques en vue d’assurer leur sécurité ainsi que celle de leur famille. Puis, le sénateur Keene Junior (son père est celui à qui l'on doit le Keene Act de 1977) révèle à Tilman qu’il est à la tête de la Septième Kavalerie et qu’il a organisé la White Night pour faire voter ladite loi avec pour objectif de rentrer à la Maison Blanche, sur son cheval blanc, et de succéder au Président Redford (un rapprochement avec la logique d’Adrian Veidt, que la réplique "can't make an omelette without breaking some eggs" résume bien, peut ici être mis en avant). Cependant, ses priorités ont été amenées à changer puisque nous apprenons, dans un dernier temps, que le Dr. Manhattan s'est fait démasqué au cours de la tuerie ("something extraordinary happened and, suddenly, President seems abit small potatoes" confesse Jane Crawford, la veuve du shérif Judd et bras droit de Kenne Junior, à Blake dans An Almost Religious Awe). Et c'est à partir de là que, sans le savoir, une course contre Lady Trieu, qui avait elle-aussi des vues sur les pouvoirs du Dr. Mahattan, estimant qu'elle en ferait un meilleur usage que ce dernier, a commencé entre les deux camps. Concernant l'activation de la première merveille du Nouveau Monde qui est teasée depuis le premier épisode, justement, j'avoue avoir été un peu déçu, m'attendant à quelque chose de plus spectaculaire et originale (cela dit, le plan de Lady Trieu souligne parfaitement le côté narcissique du personnage) et le délai de mise en œuvre de onze ans m'a semblé bien long.


En somme, See How They Fly m'a paru un peu trop expéditif dans son exécution, confirmant l'idée que la saison aurait pu compter plus d'épisodes afin de mieux amener certaines choses (notamment au niveau de la relation entre Lady Trieu et sa mère ou encore Lube Man qui, en seulement quelques minutes, a intrigué beaucoup de spectateurs). Toutefois, la dernière scène, qui essaye peut être trop de jouer sur l’ambiguïté, apporte une conclusion satisfaisante et nous laisse songeur : après tout, l'œuf, autre récurrence de la série ("I'm the egg man" disait John Lennon dans I'm the Walrus dont est tiré le titre du neuvième épisode) symbolise la transmutation et la renaissance.


Alors oui, comme beaucoup de suites d'œuvres sorties ou parues quelques dizaines d'années auparavant, la série Watchmen n'avait pas forcément lieu d'être, le roman graphique de Roger Moore se suffisant amplement à lui-même (après tout, il en est allé ainsi depuis plus de trente ans). Cependant, cela ne l'empêche pas de proposer de nouvelles choses tout en conservant l'esprit du comics et en lui rendant hommage. Cette première saison est intelligemment écrite, se bonifie d'épisode en épisode et profite d'un très bon casting ainsi que d'une bonne ambiance musicale qui accompagne bien l'image, sans compter les lourds moyens investis par HBO. Pour reprendre les termes du créateur de Lost, "this is a love letter and an examination of the original Watchmen". L'avenir nous dira si une seconde salve d'épisodes verra le jour : pour l'heure, Watchmen de Lindelof est une série qui s'est avérée très intéressante à suivre et à décortiquer (je tiens ici à remercier Ryan Arey dont les analyses se sont avérées très utiles au fil des semaines) ! 8/10 !

vic-cobb
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le 19 déc. 2019

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vic-cobb

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