De l'influence des moineaux sur le comportement des humains

Construit en diptyque, Bird people raconte toujours l'histoire d'un passage de la terre au ciel, de la prison de l'habitude à la liberté de la vie. D'abord, nous voyons ce « people » aller et venir dans le métro parisien, tous dans leur pensée, expressifs ou introvertis, fâchés ou heureux, la caméra les saisis comme sur le vif, avec la vivacité du documentaire. Ce n'est qu'avec l'apparition de la voix-off interne des personnages, et avec la présence d'acteurs reconnaissables, que le film bascule dans la fiction.
Gary et Audrey sont les « bird people », les deux personnages de cette histoire, ou plutôt de ces deux histoires réunies par le sceau d'un moineau. L'introduction nous présente ces deux personnages brièvement, par montage alterné. L'un est un homme d'affaire en mission, et semble mener une vie morne et routinière, l'autre est une étudiante qui essaie de se faire un peu d'argent en travaillant comme femme de ménage dans un hôtel Hilton près de l'aéroport. Ces deux personnages connaissent une proximité géographique, mais leurs histoires se développent en parallèle l'une de l'autre sans se rencontrer par un autre biais que celui du moineau, tout en partageant une rupture avec leur attache, ou plus précisément leur envol.
Ferran réalise l'exploit d'articuler, pour Gary, une rigueur filmique et narrative qui permet une évolution claire de sa situation, ainsi que le déroulement minutieux des conséquences de sa décision, puis, pour Audrey, une liberté de réalisation et une stagnation narrative qualifiable de « poème cinématographique ». Quoiqu'opposées, les deux parties de ce diptyque se complètent et se rejoignent par la présence fugace d'un moineau, par la rencontre d'Audrey et Gary sous deux formes différentes, et s'achèvent enfin dans une même clausule qui font des deux histoires d'envol une seule et même histoire de liberté.
Bird people n'est pas un film linéaire où se suivent des scènes de circonstance ne servant que de pivots au développement narratif. Bien au contraire, nous observons chez Ferran un amour de la scène longue, développée, puissante et indépendante du reste du film. Pensons à la longue conversation sur skype entre Gary et sa femme, où tous les états de nerfs se succèdent à travers des ellipses, des errances dans le périmètre d'une chambre d'hôtel, un épuisement des personnages. Il en va de même de cette magnifique scène où le moineau pose pour le peintre japonais et contemple les dessins achevés.
Si Bird people est un film ni tout à fait réaliste ni tout à fait fantaisiste, et qu'il n'est pas tributaire d'une narration tenue et cohérente, il tire justement sa beauté de ce qu'il rejette à la fois la complète et rigueur et la complète liberté, pour devenir un film sur le hasard, sur la possibilité que des choses extraordinaires adviennent au sein de l'habitude, et de même dans la réalisation, la naissance de la liberté (les plans dans le ciel sur la musique de Bowie), sur le terreau de la rigueur (les champs / contre-champs entre Gary et sa femme).
Rozbaum
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le 25 mai 2014

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