Si on peut reprocher à Kafka sur le rivage le peu de relief de ses personnages, son apport culturel assez fade, ses réflexions un peu simplistes et sa cohérence douteuse, il serait idiot de lui retirer ce don de créer une atmosphère unique, capiteuse même. Après, oui, tout est très grossier, niais si on veut, mais jamais cousu de fils blancs. Je n'ai jamais rien trouvé de subtil ou de complexe à ce roman (bien que sa structure en donne l'illusion, vite effacée), parce que dès les premières lignes, on s'attend à tout autre chose.

Il y a une densité, une épaisseur véritable au sein de ce roman. Les rapports humains ne se fondent plus sur quoique ce soit de concret, de vécu, mais juste sur de la fumée, ce qui au demeurant n'amoindrit rien de l'attachement auquel nous sommes en proie devant les personnages. De même, parmi les nombreux siphons narratifs qui nous immunisent à l'ennui, celui du mystère, de l'inexpliqué, toujours flottant comme un horizon vague. On ne sait jamais vraiment où se trouve le soleil. Tout cela donne à l'oeuvre un nimbe étrange, presque pictural. Le style de Murakami ne se trouve pas dans son phrasé, mais bien dans cet égrenage de descriptions courtes, et concourant chacune à l'esthétique visuelle du roman. Les paysages ont toujours quelque chose de fantomatique, ils déforment l'espace et le temps. Les routes sont tantôt distendues, tantôt rétrécies à l'extrême. Rien n'a figure de réalité objective, c'est derrière un oeil d'enfant que l'on se place, et sous la rétine duquel les choses se déroulent et nous rendent irrémédiablement enthousiaste.

Enfin, quoiqu'on en dise, je me suis retrouvé emporté, comme tous ceux autour de moi qui ont eu ce roman entre les mains. Alors sommes-nous tous des niais baveux qui aimons fantasmer sur de la poésie pleine de sperme? Je pense qu'il faut savoir retirer ses lorgnons devant une telle oeuvre. Redevenir un peu innocent, un peu puceau. Ce livre prend aux tripes, non à la tête. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse rester de glace devant le passage de Jonnhie Walken et les chats, ou que Nakata ne nous apparaisse autrement que comme un "vieillard débile".

J'aurais pu dire que le roman, outre sa scansion de références littéraires, met aussi en valeur certaines figures freudiennes, oedipiennes machin chose (ce que font allègrement d'autres critiques), ou encore qu'on puisse en faire la double lecture d'un adolescent schizophrène, oscillant entre le corbeau ultra-violent et l'enfant génial. J'aurais pu, en somme, pour y assoir cette note, lui trouver des complexités qu'il ne contient pas. Et c'est de là justement que vient toute mon affection pour l'oeuvre : son étonnante simplicité mêlée à sa foisonnance presque baroque. Alors on est un peu honteux parce qu'on se sent bercés par de grosses ficelles roses fushia. Mais alors? La réussite demeure. Kafka sur le rivage ce n'est pas un roman qu'on arrête par caprice. Il tient fermement son lecteur, si forcené et intello soit-il (et quelques soient les circonstances de lecture).
Rozbaum
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le 15 avr. 2012

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