Un plan-séquence ponctuel dans un film, c'est souvent génial, ça permet d'avoir un contraste saisissant dans le découpage du film, de créer un sentiment d'immersion soudain, et c'est d'autant plus puissant qu'il se fait rare.
Comment oublier les séquences incroyables de "Children of men", avec attaques en voiture, scènes de guerilla urbaines hallucinantes, qui parviennent à s'inscrire dans un ensemble cohérent...
Comment oublier le mythique plan d'ouverture de 15 minutes de Snake Eyes, d'une intelligence extraordinaire puisqu'il parvient à poser tous les enjeux du film, avec une implacable efficacité virtuose...
Mais le plan séquence perd de son intérêt quand il s'étale sur toute la durée du métrage.
Comment doser le rythme, quand le film n'est constitué que d'un seul plan, et que l'on doit se taper d'interminables voyages de caméras, de scènes inutiles et parasites ?
Vous imaginez lire un bouquin qui ne contiendrait qu'une seule phrase ?
A part pour les férus de James Joyce, ça n'a aucun sens.
Le rythme est vital, la durée des plans, la durée des séquences permet de donner vie au film, de le faire respirer.
Visiblement conscients de ce problème, on essaye de trouver de mauvaises solutions :
- Un batteur qui va ramer comme un dingue avec ses percussions, pour imprimer un rythme sonore, à défaut de rythme visuel...
- Des acteurs hystériques, qui vont gueuler, pleurer, en permanence, et débiter des dialogues imbitables
- Une caméra qui va courir partout, tout le temps, suivre dans le chaos le plus total, tout et n'importe quoi...
Le procédé tue un film qui devient d'une lourdeur pachydermique éreintante.
Surtout, je pense que plus on utilise des procédés complexes de mise en scène, plus on doit avoir un récit limpide, cohérent, lisible, en contrepartie.
Quand Kalatozov fait des plans-séquences hallucinants, ça n'est que pour servir des histoires extrêmement simples à suivre et à comprendre. Le spectateur est d'office embarqué dans l'expérience du film, parce qu'il en saisit rapidement les enjeux clés.
Ici, c'est juste un horrible charabia, qui part dans tous les sens, avec des personnages inexistants, dont les relations sont globalement incompréhensibles, avec des sous-intrigues complètement ratées et hors-sujet (que vient faire la love story entre Emma Stone et Norton, même si c'est l'un des plus jolis moments du film ? Quel est le propos du délire visuel bien moche (façon spiderman 1) où Keaton s'envole dans le ciel de New York ? Quelles sont ces conneries bien lourdingues que débite la voix-off, et qui est ce putain de Birdman qui nous gonfle pendant tout le film sans qu'on ne pige l'intérêt ? Quelles sont ces histoires de méduses ? Qu'est venu faire Raymond Carver dans cette galère ? Et Naomi Watts ? Et l'ex-femme ? Que vient foutre la séquence de critique des "critiques" hyper balourde, caricaturale comme pas permis, mais traitée avec un premier degré confondant ? Keaton et son faux nez ? La liste peut être encore très longue... Le problème c'est qu'il n'y a aucun lien, malgré l'apparente continuité du film.
On est pas dans 8 et demi, et j'ai le sentiment que tous ces procédés bien lourdingues de mise en scène, ne servent qu'à cacher la vacuité d'une entreprise qui n'a aucun fond à défendre, ni aucune histoire à raconter.
On a juste des pantins qui "répètent" en boucle des morceaux de dialogues (de la pièce, et du film) qui ne font pas sens, et ce pendant 2H...
C'est dommage, je suis un fan absolu de Michael Keaton, et de ses Batman, mais son rôle n'est finalement pas vraiment intéressant...
Surtout il y a une escroquerie : on nous vend le plan-séquence comme un moyen d'être au plus près de ses tourments, mais c'est faux. On est bien souvent très loin de Keaton, la caméra ne cesse de le quitter pour attraper au bond d'autres personnages dont on ne comprend rien.
Pire, la caméra s'amuse même à délaisser les personnages pour s'installer dans un coin et illustrer l'écoulement du temps, pour pouvoir avancer dans le scénario, ce qui montre une fois de plus l'inutilité totale du procédé, qui n'a plus d'autre objet que de détruire le rythme.
C'est dommage, Ed Norton est génial dans le film, et absolument hilarant dans chacune de ses séquences.
C'est dommage, le film touche le sublime de temps en temps, la photo est éblouissante, et l'univers de Broadway est cinégénique à souhait, avec ses coulisses labyrinthiques incroyables.
Il aurait fallu tout simplement raconter un semblant d'histoire.
PS : ce qui donne un peu de cachet au film, c'est qu'ils ont eu le bon goût d'utiliser certaines des plus belles compos de Ravel...