L'émancipation des rivalités dans la quête de l'absolu.

[Attention Spoilers vers la fin] Oubliez vos questions sur ce qui est réel ou fantasmé, sur ce qui est schizophrène ou lucide, sur la crédibilité de ceci ou cela : vous lisez le film à un niveau qui ne vous apportera pratiquement rien. Du moins, c'est mon avis (et mon avis, je le partage).

Dans Black Swan, justement, ce qui est un coup de génie, c'est de faire grandir ce personnage jusqu'au dernier moment, de le voir dans un premier temps pris par l'importance des rivalités, lutter avec ses désirs et le besoin de dépassement de soi, d'affirmation de soi. On ressent cette oscillation entre une partie refoulée de sa personnalité et une quête douloureuse vers la libération. Du moins est-ce ainsi que son entourage voit Nina, comme le dira d'ailleurs le metteur en scène, lui répétant que l'obstacle est en elle-même.

Chacun se sert de Nina pour entretenir les rivalités qui fondent leur identité : sa mère dans son rôle de mentor, le metteur en scène dans son rôle de créateur, sa rivale dans son rôle d'empoisonneuse, etc. Nous pensons tous qu'elle n'est qu'une balle jetée de main en main, torturée par sa personnalité trop faible pour opposer une résistance. Nous pensons tous que son affirmation selon laquelle "I want to be perfect" est un aveu de conformisme, de vouloir plaire aux autres.

[Spoiler maintenant] Mais nous découvrons à la dernière minute que sa quête de perfection se joue de toutes les ridicules rivalités qui sont si importantes pour les autres. Nous voyons le regard du metteur en scène passer de la satisfaction (elle l'a fait !) à l'incompréhension (qu'a-t-elle fait ?). Car Nina accède dans son ultime effort à un dépassement radical de sa condition humaine (au propre comme au figuré, puisqu'il lui en coûtera la vie) pour toucher à un absolu, une perfection qui n'a rien à voir avec les tourments du conformisme social.

Elle passe donc au travers de ce que nous pensons être des épreuves, les rivalités quotidiennes pour le rôle, son statut de fille devenant femme, etc. Mais sa quête est graduelle et plus profonde. Elle ne danse pas pour "réussir" comme nous le pensons vulgairement. Elle s'échappe progressivement des conflits pour s'envoler vers ce que, peut-être, on pourrait appeler une transformation authentiquement artistique d'elle-même, qui échappe à toute catégorie psychologique.

Dans ce sens Nina rejoint le petit Panthéon des personnages qui excèdent leur humanité, tel Forrest Gump, Jean-Baptiste Grenouille et consorts. Un film dont la profondeur humaniste peut être masquée par la couche psychologique, mais qu'il ne faut pas, je pense, négliger pour autant. Tout comme Nina peut être poursuivie par son image dans le miroir, sa quête peut très bien jouer ce rôle réflecteur par rapport à notre propre quête consciente d'accomplissement.
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le 18 févr. 2011

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