"C'est rabâché et déjà vu mais on va le faire d'une manière moderne et viscérale", dixit le personnage de Vincent Cassel, le metteur en scène du lac des cygnes. Et méta oblige, cette phrase est également la note d'intention du réalisateur. Le personnage explique de même plus loin que seule, la virtuosité ne suffit pas, que la grâce inhérente à la désinvolture et à l'instinct rendait une performance consistante. Qu'il fallait se laisser aller, se perdre à l'œuvre.

Ses observations sont symptomatiques de ce qu'est le dernier film d'Aronofsky. Où les personnages sont des stéréotypes qu'il retranche progressivement dans leurs extrêmes, qu'il éviscère. Où les thèmes romantiques qu'il aborde, chers à Dostoïevski ou à Kafka, ultra rebattus et manichéens, voir simplistes (le double, le noir, le blanc, la perte de l'innocence ou encore la métamorphose) sont grattées jusqu'à ce que l'on voit leur chairs, leurs entrailles.

En effet, nous sommes ainsi assaillis du début a la fin par d'omniprésents effets métaphoriques sonores (bruits d'ailes, rires, respiration haletante, échanges des voix, contextualisation de l'OST brillante de Mansel...) et visuels (représentation manichéenne, images quasi subliminales, miroirs et mise en abime des reflets, modification du corps...). Tout ceci afin de nous pousser à nous identifier à Nina, à Ressentir le film comme une œuvre sur-empathique dont de toute façon nous comprenons très vite l'issue, ce qui n'est en aucun cas son intérêt.

La narration est elle construite autour d'un principe de mises en abime compulsives, genre de poupées russes où Aronofsky s'amuse à imbriquer divers niveaux de lecture dans une seule sémantique. L'histoire du personnage principal est donc une représentation moderne de celle du lac des cygnes qui représente elle même la structure du film. Insinuant ainsi progressivement du fantastique dans le cinéma vérité en camera épaule, magnifié par l'imperfection granuleuse du 16mm (justifié par la volonté rhétorique du réalisateur : l'imperfection comme art ultime).

En transformant de cette manière, collatéralement à l'héroïne et à son personnage dans le ballet le film lui même en cygne noir, Aronofsky nous conditionne à voir l'instinct de l'œuvre plutôt que sa virtuosité et nous touche physiquement. Nous pactisons avec "Black Swan" (ou pas d'ailleurs), comme Portman avec son double maléfique (mais pas sexuellement, un cunni de Kunis - je n'invente rien - n'est pas donné à tout le monde) et nous nous laissons bousculer.

En bref "Black Swan" est une œuvre de l'excès, du trop, empruntant à Polanski et à Cronenberg. Sorte de relecture Wagnérienne ultra moderne d'un conte romantique qui heurte mais fascine par son honnêteté et sa justesse.

Le fait est que ceux qui exècrent Aronofsky l'abhorreront encore plus avec ce film car comme Coppola ou Scorsese à leur époque, il est excessif et innove, et ca ne peut pas plaire à tout le monde. Godard après tout malmenait l'œuvre de Kubrick, le jugeant "matuvuiste" et créateur "d'esbroufes gratuites". Moi j'ai choisi mon camp.
Notiran
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le 15 févr. 2011

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Notiran

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