Blow Out
7.6
Blow Out

Film de Brian De Palma (1981)

Note : critique contenant des spoilers

Le contexte politique et cinématographique est important pour mieux appréhender Blow Out. De Palma a en effet été marqué comme tous les Américains, par la crise du Watergate et la rupture du lien de confiance entre le politique et le citoyen qui en a résulté. Pour le cinéaste, c’est du pain béni, habitué à filmer l’Amérique rongée par les désordres politiques, ses excès et sa vulgarité crasse. A l’époque, il a en plus été propulsé comme fer de lance du Nouvel Hollywood, mouvement succédant à l’âge d’or, en ce sens, qu’il représente la face cachée ; là où l’âge d’or filmait le rêve et l’idéal, le Nouvel Hollywood est la désillusion et le retour à la réalité.

En 1981, De Palma s’empare du script de Blow Out, souhaitant faire dans un premier temps une synthèse de Blow Up d’Antiononi et de The Conversation de Coppola, pour ensuite surpasser ce schéma de départ et y insuffler une autre direction. Le film raconte l’histoire de Jack Terry joué par John Travolta, preneur de son pour des films de série Z. Alors qu’il enregistre des sons naturels pour ces films, il est témoin d’un accident de voiture impliquant un gouverneur haut placé et sa supposée maîtresse qu’il sauve de la noyade. L’homme politique meurt et Jack Terry, convaincu d’un attentat, se lance dans la reconstitution de la scène avec Sally, la fille sauvée, à partir de sa bande-son, et des images prises par un photographe qui se tenait lui aussi sur le lieu de l’accident.

Le postulat de Blow Out est donc simple car la réunion du son et de l’image va se faire très tôt dans le film là où ses prédécesseurs se concentraient sur l’enquête et la recherche de l’élément manquant. Le film ne raconte pas la même chose, à vrai dire. Ce choix narratif traduit une vision du cinéma, mêlant à la fois sa puissance de création et son impuissance à transmettre la vérité. L’artiste, ici, crée un film, car c’est là son devoir, celui de montrer la vérité (ce qui se superpose à l’histoire de Blow Out, car la vérité est celle de l’attentat sur la voiture et non un accident, ce que veut démontrer Travolta). Mais cette création reste insensible aux yeux du monde, laissant l’artiste dans sa profonde solitude (John Lithgow qui veut empêcher la révélation, la police qui reste sourde au récit de Travolta). Le film comporte de grandes scènes de bravoure à cet effet, dont un plan panoramique sublimissime quant Travolta se rend compte que son film a été volé, ou bien le ralenti final où ce dernier assiste, impuissant au meurtre de la fille le jour de la fête de l’indépendance américaine. C’est là une autre force de Blow Out car il lance un processus de démystification du héros américain, celui-ci échouant à sauver sa bien-aimée, et sonne le glas de tout un pan de l’histoire du cinéma, consacrant à partir de cet instant, des situations plus noires et plus dramatiques.

Il est toujours aussi surprenant de voir à quel point le visionnage du film passe à toute vitesse. Il semble se situer à la limite parfaite entre le divertissement et la réflexion, seul peut-être La Mort aux trousses peut concurrencer Blow Out de ce côté-là. Quand une histoire devient aussi captivante par sa maîtrise impressionnante du suspense et de l’implication émotionnelle du spectateur, et arrive à transmettre une vision aussi intime et déchirante d’un artiste sur son art, il est difficile de ne pas être bouleversé par une telle perfection formelle. Quel intérêt à faire des films si ces derniers ne provoquent pas l’effet escompté sur le spectateur ? La question se pose durant tout le visionnage et semble trouver une réponse lors de la scène finale et l’utilisation du cri véritable, celui de la mort, à l’élaboration du film auquel participe Travolta dans Blow Out. C’est le postulat que l’artiste n’a que des devoirs car il est le seul à connaitre la vérité. Si celui-ci est condamné à écouter et réécouter ces bandes toute sa vie, c’est parce qu'il doit payer le prix pour sa connaissance. Pour le spectateur, regarder Blow Out pousse alors à regarder encore plus de films et c’est peut-être en cela, qu’il constitue le plus beau manifeste sur l’art cinématographique.
Tanguydbd
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le 23 déc. 2013

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