Dans sa vétuste Pontiac, Dwight apprend que le meurtrier de ses parents a purgé sa peine. Que faire? Que faire à l'homme qui a volé son enfance? Meurtri dans ses tribulations, de l'indolence dans les jambes et dans le regard, Dwight décide d'agir et tente d'exister par l'acte de violence qu'il s'apprête à commettre. Car le film, grâce à son récit vengeresse, met en lumière sous forme de grâce la profonde recherche d'une identité.

D'ailleurs, Dwight songe bien à récupérer ce qui lui est dû. Il s'exécute. Et Hegel ayant rarement tort sur le sujet, une vendetta, ce cercle infini de haine, est mis en place. S'orchestrent alors non pas une enquête policière mais une chasse à court où il ne peut y avoir de vainqueurs, de gagnants, comme il n'existe, d'ailleurs, pas de véritable héros. Voilà la première force du récit, celle de l'écriture des personnages. Macon Blair excelle (un peu trop) dans l'exercice d'un personnage indolent, chétif dans l'allure: sa jeunesse, étape cruciale dans la construction de soi, lui a été arrachée par la mort sauvage de ses parents, que le réalisateur se garde bien de mettre en scène. Justement, Saulnier suggère tout au plus un évènement bouleversant qui marqua au fer rouge Dwight et sa soeur.

Ses proches n'étant pas en sécurité, il décide d'affronter son angoisse existentielle (Si le personnage central est tellement apeuré par la vie c'est qu'il n'a pas encore trouvé les moyens d'exister autre que par le non-deuil de ses parents) en tuant le reste de la famille. L'origine du mal. Seconde force du récit: Dwight n'a aucun échappatoire car ce n'est qu'un homme, à la fois téméraire et couard, apeuré mais convaincu, indolent mais bestial; lorsqu'il s'agit de survie. Ce n'est ni un héros, ni un monstre, c'est juste un humain, nu, face au mal qu'il perpètre. Il fait des erreurs, se coupe maladroitement, ne sait pas tirer, bousille son semblant de vie et demande de l'aide.

Néanmoins, Blue Ruin est loin de parfaire dans l'épreuve du scénario puisque lui subsistent plusieurs incohérences, prenant parfois des raccourcis. On lui pardonne volontiers cette facilité quand la mise en scène sublime par endroits la quête vaine de Dwight, son errance et le rapport à la nature. La photographie, impeccable (parfaite dans la première partie du film), sert totalement l'aspect contemplatif du film. En filmant les horizons de Virginie et sa communauté rurale, Saulnier accentue la dimension du fait divers: peu de personnes en entendent parler car ce n'est qu'une histoire banale (certes, révélatrice de concepts fondamentaux) où des minables désirent obtenir justice. Et là encore, le film bascule avec intelligence dans une dimension autre. Blue Ruin n'est pas seulement un film de vengeance, il est tragicomique puisque la vengeance de Dwight est basée sur de mauvais fondements, des fondements injustes, exacerbant le désir infini de violence de la famille de Wade.

Dans son errance, Dwight existe enfin, connaissant son destin, fonçant à toute allure vers une fin inéluctable, sur fond du délicieux "No Regrets". Le pendant esthétique est excellent: Sa pontiac en ruine et son collier sont les deux identifiants clés du film, auxquels le vagabond se rattache car un homme s'identifie d'abord visuellement par ce qu'il possède matériellement, d'où la force du titre, d'où la puissance de son écriture. Blue Ruin est bel et bien réel.
Monsieur_Biche
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le 21 juil. 2014

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Monsieur_Biche

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