Un film ça ressemble à un enfant. On y pense, on en parle, on finit par le faire, on l'élève avec l'aide de plus ou moins de personnes, on veut en être le plus fier possible, mais ça reste toujours un peu gênant quand les gens crachent dessus parce qu'ils s'attendaient à autre chose.


Sans avoir lu l'oeuvre de référence il est évident que Blueberry le film n'a aucun foutu lien avec Blueberry la BD mis à part le titre, le chapeau de Mike et un caméo de Mœbius. Pourquoi ? Parce que l'enveloppe scénaristique, l'histoire de ce lieutenant mi-Marshal mi-Mowgli en pleine conquête de l'Ouest n'est qu'un prétexte pour situer le vrai sujet du film, le passage d'une interprétation à l'autre du monde par le biais des plantes psychotropes utilisées par les civilisations indiennes et leurs chamans.


Indiens d'Amérique du nord ? Indiens d'Amazonie ? Indiens dans la ville ? Encore une fois la question n'est pas là, on s'en fout de savoir si ceux qui scalpent sont les mêmes que ceux qui fument et boivent du thé à la menthe, apparement très costaud.


La plupart des critiques adressées à Jan Kounen viennent de férus de la BD pas content, mais alors pas content du tout que quelqu'un ait osé toucher le monolithe original, alors qu'est-ce qu'on fait ? ON LANCE DES PIERRES, ALLEZ, VISEZ LA TÊTE ! JE VAIS MÊME FINIR MA CRITIQUE EN MAJUSCULES ! non je déconne, mais l'idée est là : une indignation que je trouve complètement à côté de la plaque.


Je pense que "Blueberry" a marqué Jan Kounen et l'idée de faire passer un message qui lui tient à coeur à travers l'univers de cette oeuvre est un clin d'oeil respectueux, malheureusement beaucoup trop mis en avant par le titre, je le conçois. (Mais n'aurait-il pas été accusé de plagiat si le film s'était appelé "Mike et la tisane de trop, l'expérience secrète" ?)


Le choix du western, il le dit lui même, c'est cette forme de mythologie outre-atlantique, la naissance et l'ascension des Etats-Unis, violents, alcoolisés, des fois pas très Charlie mais mine de rien empreints des valeurs qui les ont façonnés. Des versions (intégrales) du film existent avec des commentaires audio par dessus (l'un de Jan Kounen, l'autre de Vincent Cassel). Je n'ai pour l'instant écouté que le premier, extrêmement intéressant et enrichissant, où il s'attarde sur ses choix et notamment celui de l'époque : ce film aurait pu se passer au temps des conquistadors ou à notre époque. Blueberry peut-être, mais Blueberry avec parcimonie.


Très bon casting, belle direction photo (Tatsuo Nagata, qui apparait d'ailleurs aussi en caméo, et y-a même son fils à un moment, et le régisseur qui s'est laissé pousser la barbe pour apparaitre, et le fils de Jan Kounen ! Ecoutez les commentaires audios je vous dis, et vous aurez plein de choses à raconter lors des prochains diners mondains).


Le matte-painting peut faire débat, mieux réussi à certains moments qu'à d'autres, le tout est de rentrer dans cette symbolique d'acte chamanique, de casser notre pensée exacte, rationelle. Ne pas se demander pourquoi des serpents et des crocodiles sortent de sa bouche, non, on s'en fout, il faut ressentir ça et se laisser faire par ses sens, s'abandonner au film.


En étant clairement un complément de "D'Autres Mondes" réalisé par le même individu et traitant du même sujet sous une forme documentaire, ce "Blueberry" de Kounen reste qu'on le veuille ou non un fruit très juteux issu d'un esprit créatif, sensible et réfléchi. A ne vouloir retrouver que l'oeuvre de base on ne trouve que la colère, et la colère entrainant la haine, la haine entrainant le repli sur soi, lui même entrainant la radicalisation, on se retrouve à combattre en Syrie alors qu'on était la veille en pyjama devant la télé. Point Godwyn des années 2010 certes, mais prudence tout de même.


Une citation de Jean Giraud (Mœbius) pour terminer :
« Ce que j'aime dans le travail effectué par Jan Kounen, c'est l'esprit dans lequel il a envisagé l'adaptation. Il s'est senti libre de s'emparer du récit pour en faire quelque chose qui lui tient vraiment à cœur. Tout en étant très amoureux et respectueux de l'œuvre originale, il ne s'est pas laissé emprisonner par elle »


Un film qui m'a donné envie de revoir D'Autres Mondes, de rencontrer des chamans, et de faire beaucoup d'enfants.

Gyak
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le 7 avr. 2016

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Gyak

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