On le sait, De Palma virtuose tout, et c'est à ça qu'on le reconnait.
Pour autant, mérite-t-il qu'on intente à son sujet le procès d'outrance ?


Près de 30 ans après ma première vision de Body Double, qui constitua le fondement absolu de mon dégoût De Palmesque, précisément à cause de cette expérience traumatisante, et armé depuis d'un bagage cinématographique autrement plus chargé, la sortie en Blu-Ray constituait pour moi l'occasion, sinon de remettre les pendules à l'heure, au moins d'essayer de comprendre les origines du mal.


A relire les quelques adorateurs du film que je compte parmi mes éclaireurs (et même quelques autres, je suis pas bégueule) le kitch, les outrances, les incohérences ne sont pas graves. OK.
Donc, une histoire débile de la première à la dernière scène passe comme un pointe de crème fouettée sur une boule de vanille à la noix de pécan: l'acteur qui se fait lourder du plateau du film de série Z dans lequel il joue, pour cause de claustrophobie soudaine, nous gratifie d'un gros plan au volant tout sourire. Le même peut suivre l'objet de son obsession à moins de 1m50 pendant des heures sans que jamais la donzelle tracée ne tourne la tête. La mise en scène de la machination tient compte de la seconde précise ou sa victime décide d'arrêter de regarder la télé, et si vous avez besoin de rencontrer une star du porno, il vous suffit de passer un coup de fil à 10h, passer une audition à 18h et tourner dans un clip libertin le soir même. Sans parler des chiens qui traversent les vitres de voiture exactement quand le scénario le leur demande.
Très bien. Parfait. Tout cela passe parce que c'est A-SSU-MÉ.
Voir, élément encore plus bienveillant, parce que c'est RÉ-FÉ-REN-CÉ.


Et si, aux yeux des aficionados du film et de son réalisateur, ce qui frise l'insulte magistrale ne compte pas, en terme de moments gênants ou tout simplement disqualifiants, c'est forcément que tout cela est compensé par de formidables atouts. Que lis-je ici et là ? Réalisation virevoltante, séquences d'anthologie, plaisir de la démesure. Il eut donc fallu que je goutasse à la frénésie des mouvements à 360° de la caméra sur fond projeté, où l'héroïne envoie la langue dans la bouche d'un parfait inconnu, qui était jusque là au minimum inquiétant et suspect. Que je m'amuse comme un jeune galopin extatique devant ce fac-similé de clip gay-friendly qui n'offre rien d'autre… que la réplique polie d'un clip vidéo de 84. Que je fonde devant les 87 plans où le héros baisse la tête vers sa lunette de voyeur avec la même expression pataude.


L'exaltation en berne, il me fallait donc revenir sur l'évolution de mon rapport au cinéma au cours des 30 ans qui ont séparés mes deux visions du film, et tenter de comprendre pourquoi ce qui ne fonctionnait pas en 84, continue de m'atterrer gentiment en 2015 (reconnaissez-le, la haine d'alors s'est évanouie. C'est au moins ça).


Le dernier (et sans doute le plus appuyé) hommage de Brian à Alfred (après ce film, il tournera définitivement le dos à ses productions de la décennie précédente) est en effet référencé jusqu'à la gueule, et rejoint ce que son réalisateur avait pu produire de plus poussé jusque là dans l'outrance visuelle. Mais là où Ken Russell (autre maitre es-kitsch démesurée) m'hypnotise souvent par une recherche débridée et protéiforme, puisant son inspiration dans toutes les formes d'art (peinture, musique, littérature) dans des exercices fous tendant vers la poésie abstraite, De Palma ne semble vouloir explorer que de nouvelles facettes d'un cinéma codé et parfois engoncé aux entournures. La référence en abîme, chez moi, s'auto-asphyxie.


Alors pour conclure, si je devais me montrer parfaitement honnête (vous me connaissez, c'est pas évident), je reconnais que la puissance du cinéaste existe au moins dans la mesure où certaines scènes (ou la musique) étaient restées étonnamment gravées dans ma mémoire, sans que je puisse déterminer si cet exploit était dû à la force de mon rejet primaire, au début des années 80. C'est à la fois peu et beaucoup, je suis en tout cas loin d'être convaincu que cela suffise.
Mais ceci aura au moins définitivement assis mon opinion sur le réalisateur, en contribuant à dissiper les brumes que les années avaient poliment déposées sur mes souvenirs. En aucun cas du temps perdu.

guyness

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