Avec son premier film, Paul Thomas Anderson célèbre le cinéma sur pellicule qui n’a d’autre réceptacle que la salle dans laquelle il est projeté ; ainsi croise-t-il d’une manière très intelligente la naissance de la VHS et donc de la consommation cinématographique individualisée avec la mise à mort d’une tradition dont les tenants s’exposeront par la suite aux pires déviances. Car la pornographie avant les années 80-83 s’apparente à une bulle protectrice où il fait bon vivre ; nous y sommes comme en famille – chaque protagoniste entretient avec sa propre famille une relation périlleuse et trouve une échappée dans cette vaste villa dont chaque couloir semble la branche d’un arbre généalogique gigantesque. La caméra virtuose embrasse l’enchaînement logique des actions par un goût prononcé pour le plan séquence au passage incroyablement réalisé qui reproduit l’effervescence des années 70. On apprécie également le regard presque enfantin avec lequel le réalisateur aborde l’univers pornographique, ne montrant que très tardivement au spectateur ce qu’il meurt d’envie de voir, proposant une galerie de personnages-sketchs aussi drôles que touchants. Voire tristes. Car à mesure que le film avance s’installe en bouche un arrière-goût rance : quelque chose ne fonctionne plus, l’âge d’or semble révolu, les choses sérieuses commencent et, avec elles, le malheur. Pour incarner cette lente descente, Anderson s’entoure d’un casting incroyable, Mark Wahlberg en tête, qui donne de la chair à une écriture polyphonique intéressante quoiqu’un peu trop chargé de symboles. Tragicomédie monumentale, œuvre qui veut en mettre plein la vue au risque peut-être de se répéter ou d’enfoncer des portes ouvertes, Boogie Nights capte l’homme dans sa folie et ses étoiles intérieures sans jamais se poser en moralisateur.