Bright
5.1
Bright

Film de David Ayer (2017)

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Comme un pilote de série qui ne tenterait personne

Bright ne sort pas en salle, mais l'auteur de ces lignes ne reconnaissant/n'approuvant pas la méthode Netflix, qui revient pour lui à la trivialisation du cinéma, il a décidé de faire comme avec Okja, et de le traiter comme une sortie standard. Cela signifie-t-il pour autant qu'il aurait mérité l'honneur de la toile blanche ? Sans être la catastrophe évoquée sur l'interweb ("pire film de 2017" ?)... non, pas vraiment. D'aucuns diront que c'était à prévoir : dès son teaser sorti l'été dernier, l'entreprise entière avait l'air d'un plan foireux, avec son mix de buddy movie urbain et d'heroic fantasy sur fond de réflexion sur la tolérance et la discrimination (ouf). Soyons clair, l'idée en elle-même n'est pas mauvaise (y a-t-il seulement des idées mauvaises, et pas QUE des mauvais développements ?), mais quelque chose n'allait pas dans ce qu'on en voyait. La sauce n'avait pas l'air de prendre. Et ce sentiment n'était pas infondé. Allez, adonnons-nous au jeu des plus et des moins, car le film ne mérite pas mieux. Un avertissement préliminaire : le scénariste de Bright n’est autre que Max Landis, à qui l’on doit récemment… Victor Frankenstein et *American Ultra* (votre serviteur a beau faire partie des défenseurs du second, en bonne partie grâce à K-Stew, il n’y voit certainement pas un élément rédempteur de filmographie), et son réalisateur n’est autre que David Ayer, le responsable du récent accident industriel Suicide Squad qui s’énerve sur Twitter quand on critique ses films. Voilà qui est posé.


LES MOINS :
- On ne sait pas vraiment ce qu’est Bright. Mélanger les genres n’est pas un problème. Au contraire, dans notre monde postmoderne, les croisements plus ou moins aventureux (et plus ou moins heureux...) sont même devenus un argument de vente. Sur le papier, intégrer le Los Angeles « chaud », le fameux « downtown » de séries policières comme The Shield et Southland, au genre heroic fantasy n’avait rien d’une mauvaise idée. Il fallait juste maîtriser la grammaire de chacun des deux univers. Savoir un peu de quoi on parle, en gros. On savait, ou du moins croyait l’enfer urbain de L.A. entre de bonnes mains car David Ayer l’a déjà (plutôt bien) filmé dans ses polars Harsh Times, Street Kings, et End of Watch. Mais les Orcs, et les Elfes, et tout le tremblement ? Si les trois films mentionnés à l’instant fonctionnent, c’est, entre autres, parce qu’ils ne volent pas TROP haut. Mais avec Bright, Ayer a volé plus haut que d’habitude, et à vue, il s’est pris un pigeon dans le rotor, et total, son engin n'aura cessé de cafouiller deux heures durant – jusqu’au crash. C’est un film profondément paumé qui s’agite dans tous les sens sans jamais se trouver une identité à lui, piochant du bout des doigts dans le bestiaire fantastique de peur de se salir, enchaînant les clichés poussifs du film de gangs made in L.A., le tout consacré à une intrigue générique à souhait mélangeant Alien Nation (oui, le nanar des années 80 Futur immédiat Los Angeles 1991, avec James Caan... qui parvient à lui être supérieur !), The Warriors (pour la traversé nocturne) et Judgement Night (petit thriller sympa avec Emilio Estevez), sous perfusion de Training Day (comme d’habitude avec Ayer).
- Le film a, en fait, un vrai problème de tonalité, assez courant dans ce type de cinéma qui essaie d’être cool avec des blagounettes pour distraire son public MAIS AUSSI de captiver les nerds hardcore avec des plages plus sérieuses, en gros, d’avoir le beurre, l’argent du beurre, et les fesses de la vendeuse de pop-corn. Au final, ça se plante un peu sur les deux plans : Bright est trop écrit n'importe comment pour être pris au sérieux, et, ironiquement, trop sérieux pour faire passer la pilule sur le mode de la farce. Cela ne veut pas dire qu’on ne se marre pas à quelques reprises ou qu’on n’est à aucun moment un minimum impliqué dans l’action. La protection de Tikka, Elfe un peu tarée mais très gentille qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la Harley Quinn de Suicide Squad, est peut-être le seul moteur dramatique qui fonctionne plus ou moins (on a bien dit "plus ou moins") : le goût de David Ayer pour la violence et les issues brutales sert plutôt bien cette partie-là. Dans le dernier tiers du film, notamment grâce à la musique de David Sardy, plutôt inspirée dans le drama, on se prend à se dire que finalement, c’est pas trop mal foutu, comme film. Mais c’est s’attraper un peu trop désespérément aux branches. On n’en a juste un peu moins rien à foutre dans ces moments-là que le reste du temps.
- Le buddy movie patine sérieusement dans la première moitié, démarrant très mal avec une scène de voiture interminable où Ward se comporte comme un sale con sans raison suffisante, du moins pour le spectateur, faisant passer pour du Shane Black les bavardages de End of watch entre Gyllenhaal et Peña, autre film où David Ayer en faisait trop. L’inévitable aspect humoristique du genre buddy movie fonctionne très inégalement ; pour s'en convaincre, il suffit de voir la tout aussi interminable scène de l’hôpital, à la fin...
- Le manque d’ampleur et d’intelligence du scénario sont frappants. Il n'est pas aisé de décrire notre atterrement face au supermassif plan foireux qui consiste en un monde uchronique où le Los Angeles du 21ème siècle aurait à 98% la même gueule que celui que nous connaissons... alors que son humanité cohabite sur Terre avec d'autres espèces intelligentes depuis des millénaires. Le bon sens veut que l’histoire de l’humanité, et donc notre monde tel que nous le connaissons, en serait radicalement changé, ce qui est un spectaculaire euphémisme. Dans tous les cas, Shrek ne serait peut-être pas sorti au cinéma (sic). Bref, degré de projection : zéro de la part du scénariste.
- Les Orcs ne présentent aucun intérêt en tant qu'espèce : le scénario aurait situé l'action dans les années 60 et les aurait remplacés par des Noirs, ça aurait donné exactement le même résultat -
il leur fait d'ailleurs tout faire comme des Afro-Américains sous-classés, à la limite du racisme inconscient. C'est juste des humains peinturlurés en bleu, et tout juste dotés d'un meilleur odorat. Le film confond même à tout bout de champ race et espèce… (re-sic)
- La parabole sur le racisme, subtile comme un article de Libé, nous vaut inévitablement l'habituel laïus pro-minorités que liberal Hollywood ressasse avec un zèle inquiétant ces dernières années (mention au capitaine de police, forcément une femme, qui a pris la suite du Latino et du Black énervé). Avec, pour compenser, l'amusante similarité, dans la description qu’en fait un personnage, du peuple Elf avec une certaine communauté qui détiendrait les manettes du pouvoir selon certains polémistes… après le racisme inconscient de l’antiraciste au cerveau gangrené par les identiy politics©, place à son antisémitisme tout aussi inconscient (l’antiraciste étant souvent un marxiste anti-impérialiste US, donc anti-Israël, donc anti-peuple élu par confusion) ! Anecdotique, mais amusant à remarquer.
- Le personnage de l’Orc Nick Jakoby n’est pas crédible en premier de sa race à intégrer les rangs de la police humaine (ce qui est problématique, considérant qu’il est pratiquement plus important que Ward). Dans la "réalité", la communauté Orc aurait soumis un as des as au concours d'entrée. Là, on a un gaillard un peu pataud, pas très réactif, qui va jusqu’à ignorer les règles élémentaires d’une fusillade… Une incompétence qui justifie au passage l’ascendant méprisant de son partenaire – on revient au racisme inconscient. C'est peut-être pour ça que Joel Edgerton a un peu l'air de se demander ce qu'il fout là...
- L’Humain Ward n’est pas un protagoniste bien plus solide, vétéran à cinq ans de la retraite (comme c’est original) que son expérience a rendu taciturne et cynique (comme c’est original), écrit au début du film comme un parfait connard qu’il peinera à faire oublier, et interprété par un Will Smith alternant son mode flegmatique par défaut et quelque chose de plus énervé parce que c’est un buddy movie et qu’il est censé jouer Nick Nolte.
- La mythologie de supermarché pique les neurones : placer en panneau d’introduction une citation bidon d’un livre de prophétie fictif ("only a bright can control the power of the wand", po-po-po !), torcher un générique composé de plans de graffitis sur les murs de L.A. illustrant les frictions identitaires entre Humains et Orcs, et évoquer par-ci, par-là des événements historiques alternatifs, comme une fameuse bataille contre les forces du mal menées par un "dark lord" et survenue il y a deux millénaires… mais encore ?), désolé, les gars, mais ça ne suffit pas exactement à constituer un univers vivant et cohérent. On touche au degré zéro (encore) de ce que les Amerloques appellent le "world-building". Pourquoi les Elfes dominent-ils le monde ? Tout ce qu’on voit d’eux, c’est qu’ils aiment la sape et sont physiquement plus forts que l’Homme. Qui était ce putain de "dark lord" ? D’où sort cette baguette magique, quel est son intérêt, pourquoi tous les abrutis de la ville la veulent alors qu’ils ont 99,9999% de chance d’y passer ? Et sérieusement, une baguette magique ?! Qu’est-ce qu’exactement un "bright", d’où sort ce terme ? La nullité se poursuit effectivement jusqu’au lexique de ce pseudo-monde : à un moment, un personnage évoque la "magic Task Force" dont fait partie l’Elf joué par Edgar Ramirez. La "brigade magique" ? Sérieusement ? Après la "baguette magique", les "inferni" (brrrrr) et le "seigneur noir" ? On sent que Landis n’y a pas consacré cinq minutes, alors que cette phase de la création d’un roman/scénario est généralement un grand plaisir. À moins qu’il n'y ait sérieusement mis du sien et ne soit juste… nul à ce jeu ? Non, impossible. "Dark lord" ? Un gamin de dix ans ferait mieux. En d'autre termes, sur le plan intellectuel, Bright, c’est l’anti-District 9 : on ne sent aucune intelligence remarquable (au sens premier du terme) derrière son scénario. À faire passer l’univers de la médiocre saga de vampires Blade pour du Frank Herbert.
- On ne listera pas tous les ratés de ce très mauvais scénario, mais histoire de se faire plaisir, un petit florilège : a) les Chicanos surgissant de nulle part à tout moment de la traque, donnant l’impression d’être partout, à tout moment, et donc que Los Angeles fait au mieux deux kilomètres carrés ; b) les personnages de l’épouse et de la fille de Ward (la première blanche, la seconde métisse, ce qui est cohérent avec le reste du film sur le plan idéologique, quoique ça ne nous ait gêné en rien) sont complètement insignifiants, Landis les introduisant sans les développer, donc on n'en a rien à carrer ; c) le twist qui survient quand le fils du chef Orc se révèle être le jeune Orc que Jakoby a sauvé au début du film est un pompage éhonté de... Training Day, comme par hasard ; d) les méchants Elfes, durant tout le film capable de tailler en pièce quiconque se trouvait en travers de leur chemin, deviennent soudainement des grosses tâches au combat une fois qu'ils se retrouvent face aux héros, soit un flic tout ce qu’il y a de plus humain et un Orc pataud ; et enfin, e) [SPOILER ALERT !] attendez-attendez… QUOI, Will Smith est un BRIGHT ?! Noooon. Je veux dire : absolument PERSONNE ne l’avait vue venir, celle-là. On est d’accord, les gars ?
- À l’écran, les Orcs ne ressemblent pas à grand-chose non plus. Certes, c’est souvent le cas, mais là, encore plus. Euh, encore moins. Enfin, c’est pire que d’habitude, quoi.
- Les « fées » sont cependant bien, bien pires. On peut reprocher aux Orcs leur design peu inspiré, mais au moins, le boulot de maquillage est bien fait. Les « fées » numériques de Bright, elles, sont tellement laides à voir qu’on les croirait toutes droit sorties d’un film du milieu des années 90. Genre, quelques années avant Men in Black, tiens. Et avec moins de moyens.
- Au chapitre des plus pour changer (ouais, parce qu'en fait, il n'y aura pas de chapitre "LES PLUS"...), histoire d’expliquer un peu les trois points du film, les Elfes, eux, échappent au naufrage. Certes, c’est souvent le cas, mais Edgar Ramirez a quand même une sacrée putain de classe en agent spécial en complet-veston. Si Netflix compte sérieusement pondre un Bright 2, on espère qu’il en sera le protagoniste principal plutôt que le prince de Bel-Air qui fait la gueule ou que ce pauvre Edgerton en Orc de Buffy contre les vampires
- En fait, ça n’assure pas des masses à l’écran, tout court. Et c’est le plus ennuyeux, dans l’histoire. Sur Bright, David Ayer, pourtant pas le plus manchot des réalisateurs hollywoodiens au rayon action, n’a même pas été foutu d’assurer : sa méchante Elf Leilah (Noomi Rapace, qui fait le boulot sans rien transcender) et ses sbires ont beau avoir la classe comme Edgar Ramirez (enfin, un peu moins quand même), leur grande scène dans le strip-club de ne laisse aucun souvenir mémorable, alors qu’elle avait tout pour (un massacre de Chicanos dans un strip-club perpétré par des Elfes en costard, vous pensez bien !). Et ne parlons pas du climax, complètement incohérent. Comme l’a souligné la critique de Vanity Fair, les courses-poursuites du film souffrent quant à elles atrocement de la comparaison avec le récent Good Times, qui en proposait des diablement électriques avec un budget dix fois moindre. La faute principalement à une photographie trop sombre, qui apporte quelque chose dans certains moments mais certainement pas ici, à un travail de montage peu inspiré (qui pose des problèmes de lisibilité), et à des chorégraphies parfois faiblardes.
- On voit un dragon voler dans le ciel de L.A., à un moment. Et puis c’est tout.
- On voit également une espèce de flic-centaure pacifier une scène de crime, à un moment. Un flic-centaure, vous avez bien lu. Et puis c’est tout aussi.
- Ce moustachu méprisant de la police des polices... mon dieu, on avait failli l'oublier, celui-là... mauvais... siiiiii mauvais... Si les personnages du clip Sabotage des Beastie Boys avaient eu des dialogues, ça aurait donné quelque chose comme sa scène. Sauf que ça aurait été intentionnel, alors que là, non.


Ok. Vu comme ça, si l’on s’en tient aux deux films que David Ayer et Will Smith ont tourné ensemble, les deux gars ne font, a priori, pas bon ménage, et devraient arrêter tout de suite les frais. Pour autant, Bright n’est pas une PLAIE à regarder. L’auteur de ces lignes a même songé à lui donner la moyenne, dans ses meilleurs moments, et lui aurait volontiers collé un 4 au final s’il ne portait pas en horreur la paresse intellectuelle de gens qui ont la chance incroyable d'être confortablement produits. Si l’on omet la crétinerie du scénario et se concentre sur le simple plaisir pop-corn, le film peut être… disons, honorablement divertissant.


En fait, et nous finirons là-dessus, l'intrigue de Bright a surtout des airs de scénario de pilote de série. Comme dans la majorité des pilotes de séries dites bouclées (genre, les "procedural" américains du type CSI), on se fout un peu de l’intrigue, qui ne sert qu’à poser le ton et les personnages, et à lancer quelques idées suffisamment bonnes pour inspirer un potentiel et susciter la curiosité du spectateur. En se montrant TRÈS magnanime envers la médiocrité du background mis au point par Landis, on pourrait, face un pilote de série ressemblant au film, être tenté de regarder le deuxième épisode, parce qu’on serait curieux d’en savoir plus sur les origines de cette foutue baguette magique, parce que des choses plus intéressantes seraient susceptibles d'arriver entre les Orcs et les Humains, parce qu’on voudrait voir davantage d’Edgar Ramirez en Elf du FBI sapé comme une star du glam-rock. Parce que la rédemption serait possible. Sauf que ce n'est pas une série, qu’on a vu. C’est Bright.


Netflix : va te faire mettre.

ScaarAlexander
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le 27 déc. 2017

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