Tiens, me voilà ramené à mes commentaires de texte de khâgneux. Si vous savez, ceux où le plan en trois parties se terminait immanquablement par un III/ La figure du poète ? Ou toute autre référence au poète lui-même, comme si une oeuvre littéraire laissait toujours transpirer un peu de son auteur...
C'est ce que j'ai pu voir dans Bronson. L'homme se débat intensément dans le monde qui l'entoure. Il tape sur tout le monde et y prend un malin plaisir, ne semblant pas supporter la vie sans pouvoir se mouvoir de tout son corps, sans avoir la liberté de ses mains. Voilà une belle métaphore de la création ! Qu'est-ce qu'on fait (poiesis) de mieux que de détruire ? Quelle plus belle oeuvre d'art que celle qui vise à la destruction, à l'éradication ? Au-delà d'une métaphore, c'est même la vérité de l'art qu'on exprime quand on souhaite que tout ce qui a existé en prenne plein la gueule.
Pourtant la figure du poète est baudelairienne ici. Oui je connais l'engouement de Sens Critique pour Baudelaire, alors ne vous en faites pas je ne vais pas lui faire du mal. Toujours est-il que ce poète/albatros qui ne sait pas vivre avec le commun des hommes mais qui ne se déploie que dans l'immensité des cieux, au creux des rêves, eh bien c'est Charles Bronson ! Le thème de la captivité l'illustre d'ailleurs très bien. "They don't understand." lui dit un de ses camarades de l'asile. Enfermer les fous est une attitude très discutable et qu'on a pourtant ingurgité depuis quelques siècles (cf. Michel Foucault) On ne soupçonne pas suffisamment la puissance de créativité des aliénés. Et de fait, Bronson ne s'y sent pas du tout à l'aise. On le bride en l'enfermant et en l'empêchant d'exprimer ses poings. On le force à côtoyer des hommes sans pouvoir les cogner... Triste réalité pour ce poète qui ne demande pas mieux que de saper tout ce qui existe, de viser au néant. Le directeur d'une prison le qualifie même de nihiliste...
Nicolas Winding Refn propose donc une parabole très intéressante, très stimulante et vivace de la condition de l'artiste chez les hommes. Pourquoi la violence ne serait-elle pas une forme d'art ? Tout en l'exprimant, le réalisateur la fait advenir à l'art. En effet, son film regorge de qualités esthétiques (la manie qu'a Bronson de se badigeonner le corps avant de commencer ses massacres de flics), et de nombreux plans sont un régal pour les yeux.
Tom Hardy mériterait une critique à lui-seul bien évidemment. Il doit bien camper deux ou trois personnages dans ce film. Cette moustache lui sied à ravir, ce sourire également. Il est le genre d'acteur auquel tous les rôles pourraient suffire : ce rôle a été taillé pour lui, et rien d'autre. Présentant sa vie à une audience invisible, il lui donne un ton de tragi-comédie, et se compare dès le début à une oeuvre d'art. S'il campe magnifiquement le taulard invétéré, il le sublime et lui donne une présence poétique qu'il serait dommage de réduire à la ressemblance avec le vrai Charles Bronson...
En bref, un des meilleurs films de Refn, grosse performance de Tom Hardy, et une bonne dose de stimulation poétique.