D’une réflexion sur l’horreur et sa nécessité au sein des sociétés humaines, la nouvelle de Clive Barker ici adaptée voit son propos évoluer vers une peinture des classes sociales et raciales où le monstre se mue en métaphore d’un passé esclavagiste sans cesse ravivé par le temps. Prononcer le nom, c’est se raccorder immédiatement à l’Histoire. De l’appartement bien agencé et décoré du couple principal, nous passons aux immeubles sordides dans lesquels l’horreur paraît partout présente, hante les couloirs, les miroirs et ce qui se cache derrière. Franchir la barrière et s’aventurer au-delà de la zone autorisée, c’est risquer sa vie, ou la reprendre paradoxalement en main. Ainsi, le réalisateur explore les deux versants d’une même médaille identitaire, investit l’inconscient de la société américaine pour en extraire une légende que l’on se raconte chez les Blancs et que l’on affronte au quotidien chez les Noirs.


Esprit vengeur qui cristallise toute forme de violence humaine, dont les apparitions sont réglées par un rituel quasi mathématique où la sensibilité n’a pas sa place, Candyman avance de la cause à l’effet, de l’appel à la mort, dans une linéarité d’emblée affichée par un travelling aérien sur l’autoroute. Cette rigidité se voit néanmoins complexifiée par l’irruption de la saleté et de l’art : les graffitis sont leur symbole commun. Les graffitis sont la marque graphique d’une contestation politique et de l’affirmation d’une identité. Ils émancipent dans l’obscurité, loin des regards indiscrets, mais émanent d’une collectivité ; dès lors, traverser le trou dans le mur revient à basculer de l’autre côté comme le ferait une Alice au pays des merveilles, à entrer dans la bouche de la divinité malfaisante préalablement convoquée et, ce faisant, à s’impliquer dans les croyances d’une population. Alors les abeilles, pourquoi les abeilles ? Elles sont associées à l’image de la ruche et donc d’une activité communautaire qui fait d’elles une famille d’insectes. Il en va de même pour les habitants des mauvais quartiers : leur mode de vie ressemble, depuis un regard extérieur qui se plaît à rassembler les nouvelles éparses – meurtres d’enfants, violences endémiques, misère etc. – entendues dans les média, à un grouillement duquel il vaut mieux se tenir éloigné, de peur de la piqûre. Lorsque les deux protagonistes féminins principaux osent braver le tabou et se rendre sur le terrain, ils sont vite désignés comme des policiers ou comme les représentants de toute force de répression néfaste. « Dès qu’on voit un Blanc ici, c’est mauvais signe ».


La structure du film cultive une esthétique du grouillement : elle donne une impression de bric-à-brac général dans lequel les scènes, bien que subtilement montées, s’enchaînent de façon abrupte, sautent d’un lieu à l’autre sans repères pour le spectateur. Impression que corrobore la partition musicale de Philip Glass, création percutante dont la répétition ad nauseam de son thème principal participe à l’élaboration d’un cauchemar qui va crescendo. Œuvre d’émancipation, Candyman souffre néanmoins d’un scénario à tiroirs plutôt démonstratif qui peine à donner corps à son démon éponyme : sa légende n’est que verbale, et le passage de la transmission orale à l’incarnation physique ne fonctionne pas vraiment. En revanche, Bernard Rose sait capter le potentiel surnaturel de l’environnement urbain, si bien que les immeubles délabrés, leur population ainsi que les différentes pièces secrètes qui s’y cachent forment la véritable menace du long-métrage, une menace essentiellement topographique. Un film de bonne qualité, donc, qui rénova le cinéma d’épouvante des années 90 et qui, aujourd’hui encore, continue de fasciner.

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le 26 oct. 2019

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