L'influence comics et sa mainmise sur le grand écran est aujourd'hui le bienvenu prétexte à définir ce qu'est le bon cinéma, en opposition au « produit », au parc d'attractions. A décrire la prédation, voire le raz-de-marée de la décrétée sous-culture américaine et son pouvoir de nuisance.


Il est donc fort pratique - et finalement logique, malheureusement - qu'un super héros nommé Captain America avec la plus grande des fiertés, limite ridicule pour beaucoup, drapé qui plus est dans l'oriflamme étoilée, soit au carrefour de toutes ces aversions.


Encore que l'on peut s'étonner qu'aujourd'hui un tel sentiment soit toujours aussi vivace, à l'heure où la pensée la plus fédératrice de ce côté-ci de l'Atlantique est de vomir toute sa bile sur les vilains conglomérats étrangers, les capitaines d'industrie et les puissances de l'argent, celles qui révulsent, avant de faire défaillir dans un râle, l'insoumis qui vitupère ou le gilet jaune anémique.


Or, un gars comme Tony Stark, pourtant la tête de pont évidente et désinvolte de cette industrie d'un capitalisme débridé et tout puissant, n'a jamais provoqué un tel dégoût.


L'image de Captain America est donc propice à tous les raccourcis, à tous les simplismes, de ceux qui dérivent dangereusement, du patriotisme à (l'ultra) nationalisme, à ceux qui irriguent une soi disant croisade salutaire contre l'uniformisation, l'installation d'un dominion étoilé, la propagande décomplexée d'une société toute puissante.


A ce titre, il est ainsi souvent rappelé par les soi-disant doctes que le Captain est né aux seules fins de soutenir la propagande, de contribuer à l'effort de guerre et de hisser au premier plan l'impérialisme US et le va-t-en-guerre tout républicain du pays.


Si la création du personnage est bel et bien politique, il est plutôt rigolo de découvrir, avec un peu de recherche, que tout cela remonte, côté publication, aux derniers mois de l'année 1940, alors que les Etats-Unis sont encore en paix avec l’Axe et qu'une bonne partie de l’opinion est encore convaincue que l’Amérique doit rester neutre dans le cadre de la deuxième guerre mondiale. Ou que certains affichent sans aucun complexe leur soutien sans condition à l’Allemagne.


Joe Simon indique quant à lui dans ses mémoires My Life in Comics, que l'idée de Captain America a vu le jour en réaction contre une manifestation paramilitaire organisée en octobre 1939 par le Bund germano-américain, organisation ouvertement nazi. La réaction sera donc symbolique : imaginer un super héros qui s'opposera au nazisme et à l'antisémitisme, soit l'expression d'une figure... Toute démocrate dans son aspiration.


Drôle d'ironie.


Tout cela pour dire qu'adapter un personnage aussi connoté politiquement, jugé communément comme ridicule aux yeux du spectateur qui n'est pas américain, relevait sans doute de la gageure.


Or, Captain America réussit l'exploit de débarrasser Steve Rogers de l'imagerie simpliste qui lui colle à la peau, et de totalement le déringardiser.


En repensant totalement, tout d'abord, son costume, lorgnant vers sa version Ultimates, réservant son effigie classique à quelque moments de show à l'américaine propres à rappeler un aspect irrémédiablement ancré dans l'imaginaire du public.


En se focalisant, comme souvent, sur l'homme derrière le héros. Ainsi, Captain America est bel et bien Steve Rogers, et non un énième super héros de la galaxie Marvel. Il n'est dès lors guère étonnant qu'il s'impose, avec Tony Stark et Thor, comme la troisième composante de la trinité cinématographique de l'empire du divertissement. Un Steve Rogers attachant, incarné par un Chris Evans tout simplement parfait. Un homme qui vit sous nos yeux pendant la majeure partie du film, mais qui, au contraire de ses deux comparses super héroïques, n'évolue pas, mais est simplement mis en capacité de s'accomplir par son mentor. Steve Rogers est en effet animé dès le départ des plus hauts idéaux, que beaucoup percevront comme d'une naïveté confondante et vous diront que le patriotisme, quand il est flanqué de l'épithète « américain » devient un gros mot.


En offrant le poste de réalisateur à ce grand artisan qu'est Joe Johnston, qui avait déjà touché au genre super-héros tendance vintage avec Rocketeer, dans une même ambiance rétro lorgnant du côté Indiana Jones, tandis que le production design s'aventure vers l'esthétique futuriste un brin désuète. Il investit encore une fois un nouveau genre, celui du film de guerre, avec enthousiasme et succès, sans pour autant avoir la main lourde sur les effets spéciaux et la pyrotechnie que l'on était en droit d'attendre. Le tout ménageant un équilibre surprenant et savoureux.


D'ailleurs, l'effet spécial le plus bluffant est sans doute celui illustrant un Chris Evans chétif,d'une vérité de chaque instant, qui confère une chair supplémentaire au héros en devenir et une transformation impressionnante à l'écran.


En offrant enfin le charme de la ravissante Hayley Atwell et l'implacable cruauté d'un Crâne Rouge réussi dans sa transposition, auquel Hugo Weaving prête son charisme, à aucun moment éteint par son maquillage, et magnifié par une mise en scène inspirée.


L'aventure guerrière présente de furieuses saveurs pulp, ce qui procure un peu plus de charme encore au film, qui s'épanouit dans une variété de tons revigorante renforçant l'étonnante richesse d'un Captain America qui se hisse sans mal aux côtés de Iron Man parmi les succès les plus immédiats de la première phase du Marvel Cinematic Universe.


Behind_the_Mask, des étoiles plein les yeux.

Behind_the_Mask
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le 23 mai 2020

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