A posteriori, le premier volet de la dernière trilogie "La Planète des Singes" était sans doute le plus faible mais, à sa sortie, il n'en avait pas moins remis au goût du jour de manière assez brillante une saga que tout le monde croyait morte et enterrée sous des tas de peaux de bananes. On devait cette réussite improbable à Rupert Wyatt, un jeune réalisateur sur lequel on misait instantanément beaucoup pour l'avenir... mais qui ne donna plus grand signe de vie par la suite (un remake de "The Gambler", une participation dans l'ombre à la série "L'Exorciste" et c'est à peu près tout) jusqu'à disparaître dans l'oubli le plus total. C'est donc avec une certaine curiosité qu'on le voit ressurgir quelques années plus tard sur grand écran avec un film de SF à petit budget (enfin dans un contexte hollywoodien, le bidule a quand même coûté 25 millions de dollars, ce n'est pas le prix d'un caramel troué non plus), sans grands noms à l'affiche (hormis John Goodman et Vera Farmiga mais ce ne sont pas les acteurs les plus bankables au monde) et avec un pitch a priori banal d'invasion alien mais qui, on le sait, entre ses mains, peut être synonyme d'une excellente surprise, surtout si le bonhomme a décidé de frapper un grand coup pour que son nom résonne à nouveau à nos oreilles...


Autant vous prévenir tout de suite pour éviter des déceptions qui n'auraient pas de sens : si vous êtes venus découvrir "Captive State" en vous attendant à voir un déferlement guerrier blindé d'effets spéciaux entre humains et extraterrestres à la manière d'un "World Invasion : Battle Los Angeles" ou d'un "Skyline", vous risquez de vous prendre une douche d'icebergs sur le coin de la tête car le film est presque l'antithèse de ces titres cités en matière d'action belliqueuse.
On peut déjà s'en apercevoir à la façon dont l'introduction est "expédiée", à peine quelques minutes de l'arrivée de ces aliens malintentionnées sur notre bonne vieille planète, un petit aperçu de leur physique (des humanoïdes avec des hérissons capillairement perdus comme ancêtres) et de leur mode opératoire pour zigouiller de l'humain, et hop, le générique d'ouverture nous résume neuf ans d'occupation alien en moins deux minutes ! Les combats qui ont découlé de cette arrivée impromptue des cieux ne sont bien évidemment pas le sujet, non, Rupert Wyatt se contente simplement d'installer ce contexte SF de manière crédible pour passer à ce qu'il l'intéresse vraiment : la minorité d'individus désespérés par cette invasion et qui cherchent à provoquer l'étincelle de conscience manquante à la majorité de la population afin de lui apporter la preuve qu'il y a encore une chance de lutter contre le totalitarisme alien. Dans un sens, on pourrait penser à la série "V" comme point de comparaison, l'image de la Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale vient immédiatement en tête dans les deux cas mais l'approche de "Captive State" est encore différente et plus sombre dans le sens où elle va vraiment chercher à se fixer dans un cadre se voulant ultra-réaliste et sur ce groupe de résistants par l'intermédiaire de ses mécanismes de survie au sein cette majorité menaçante (sans compter les Législateurs ou Cafards, c'est ainsi qu'ils sont nommés selon les camps, installés tranquillement en stand-by divin dans leurs vaisseaux) ou de planification d'attentats jusqu'au-boutistes.
Principalement par l'entremise de deux frères à chaque extrémité de la pyramide de la Résistance et un John Goodman en policier obéissant servilement à l'ordre alien pour contrecarrer leur plan, "Captive State" nous immerge complètement dans les préparatifs d'une opération de grande ampleur (et de la dernière chance) d'une Résistance qui sait éperdument qu'elle n'a plus le droit d'échouer. Et ça fonctionne diablement bien : pris au piège dans cette toile qui ne cesse de s'agrandir jusqu'aux derniers instants, le spectateur devient peu à peu un participant omniscient dans cet assemblage de bribes d'un vaste plan faisant intervenir une myriade de personnages définis uniquement par leurs rôles dans l'équation de sa réussite. On pourrait résumer l'esprit convaincant du film grâce à cette longue séquence aussi dingue qu'impressionnante qui fait entrer en jeu tous les membres de cette chaîne de Résistance dans le seul but de transmettre une information par les moyens les plus discrets possibles. Quelque part, si l'on enlevait les quelques apparitions aliens (placées toujours à bon escient) et leur supériorité sous-jacente, "Captive State" ne serait qu'un thriller d'espionnage extrêmement captivant mais sa carapace SF lui permet habilement d'avoir des résonances aussi historiques que potentiellement plausibles dans un futur proche (et donc, par la même, offrir plusieurs niveaux de lectures pertinents).
Bref, si vous n'êtes pas venus pour les mauvaises raisons et que la complexité induite par un style ultra-réaliste qui n'appelle pas de facto un surplus permanent d'explications ne vous effraie pas, vous risquez d'être littéralement happés par le rythme exponentiel du film au fur et à mesure que le plan arrive à son exécution et les risques de plus en plus grandissants que tout cela implique.


Dans sa globalité, si vous avez plus deux ou trois neurones actives, "Captive State" n'est pas si difficile d'approche, seul l'angle choisi pour son déroulement lui donne cette apparence et, outre cela, il parvient sans mal à nous impliquer dans sa suite d'événements en s'amusant à faire cruellement le yo-yo avec nos émotions sur la réussite ou l'échec de l'opération et la survie de ses participants.
Cela dit, le film commet une double erreur impardonnable qui trahit vite les intentions de son dernier acte : le choix de confier un certain rôle à une certaine personne (difficile de trop en dire) et une allusion hélas placée bien trop tôt à quelque chose qui va trahir un mécanisme décisif de l'opération en cours. Ce double mauvais choix aura pour conséquence de nous donner un énorme coup d'avance sur la révélation de la dernière partie qui, si elle est bien amenée dans ses méandres et toujours plaisante à découvrir, n'aura pas l'effet de surprise escompté et ne pourra avoir notre entière satisfaction. Peut-être que le film a voulu simplifier ses intentions de ce côté pour ne pas laisser une partie du public sur le carreau au dernier moment mais il en a hélas trop fait jusqu'à faire comprendre rapidement l'idée de son dernier ressort. Dommage...


Il n'en reste pas moins que l'on est resté complètement captif de ce "Captive State" par la tension permanente qu'il exerce sur nous pendant un peu moins de deux heures, les propositions de SF abordées à un tel degré d'immersion réaliste se faisant tellement rares qu'il serait bien dommage de rater celle-là...

RedArrow
7
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le 3 avr. 2019

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RedArrow

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