Dans la démesure de cette fresque, on sent l'envie de planter une sorte de tragédie grecque au milieu du désert du Nevada. La virtuosité formelle est là, parfois de manière assez ostentatoire, mais une réalisation sobre et discrète aurait certainement moins servi le propos, qui semble d'offrir un condensé de toutes les vanités humaines en presque trois heures de film. Enfin, au moins des vanités étasuniennes, tant ce pays semble avoir concentré les aspirations les plus vaines et surtout les plus délétères. La promesse de la réussite qui a fini par attirer les tenants les plus effrénés de l'avidité a remplacé à moment donné celle de la liberté de culte; Scorcese se penche sur le résultat de cette dégradation des aspirations nationales. Le propos est donc louable. Il donne lieu à un film clinquant, qui a ébloui en son temps, notamment grâce à la performance très spectaculaire d'une Sharon Stone au sommet de sa forme, en poule de luxe ambitieuse mise à terre par ses contradictions intimes. En outre, miser sur De Niro s'est souvent avéré payant. Il faut avouer qu'il fait ici le job avec une sobriété qui lui sied mieux que certaines grimaces qu'on lui a vues ailleurs. Troisième larron de ce triumvirat infernal, Joe Pesci, en psychopathe au physique anodin, capable de dynamiter la paix sociale de n'importe quel endroit pour peu qu'on ait l'inconscience de le laisser s'y établir. Les pions étaient disposés pour une escalade de la violence assez grotesque, qui fait quand même regretter les drames dans lesquels la grâce et la dignité étaient les enjeux exclusifs de belles âmes prises dans des filets inextricables. Parce que, finalement, on se retrouve à observer des serpents frayer et se mordre entre eux, en se demandant lequel est le plus pathétique. Ces gens qui se rêvent grands seigneurs n'arrivent jamais à dépasser leurs faiblesses constitutives : jalousie, machisme, violence, avarice, pusillanimité, méfiance, lucre... ils parviennent à allonger quasiment à l'infini la liste des péchés capitaux, au point que ça en devient lassant. Avec la tragédie grecque, l'histoire partage malgré tout la notion de fatalité : on sent dès le départ qu'on court à la catastrophe - c'est annoncé dès la séquence d'ouverture-, qui ne manque pas d'arriver, par les voies les plus tortueuses. Il faut dire que les divinités qui président aux destinées des malfrats du désert, à New York, sont un ramassis de vieux chacals à la naphtaline, jouant selon leurs règles ancestrales parachutées depuis l'Italie miséreuse jusque dans le Nouveau Monde, qui leur a offert la possibilité de voir les choses à une autre échelle sans pour autant faire évoluer leur vision rétrograde des relations humaines. Bref, une belle immersion dans un cloaque poisseux mais clinquant, qui ne séduit pas vraiment tout en affichant quelques belles qualités.