Disons-le tout de go, Catacombes (dont le titre original est, au passage, assez classe) est le moins pourri de tous les clones de Blair Witch sortis depuis dix ans. Il est moins mauvais que Paranormal Activity, Le Dernier Exorcisme et Cloverfield réunis (ce qui n'était pas bien difficile, admettons-le), pour une raison simple : il a compris ce qui faisait le charme de l'original. On a encore des frissons qui nous parcourent l'échine à la seule évocation de cette scène mythique, dans Le Projet Blair Witch, où les trois étudiants passaient une nuit sous la tente, où l'image, opaque et indéchiffrable, s'effaçait entièrement derrière le son, mystérieux et suggestif. On se rappelle avec émotion la découverte du Graal final, cette terrible conclusion de leur voyage prenant la forme d'une baraque en ruines, où là encore on ne voyait rien, où se contentait d'être guidé par des voix bizarrement lointaines, observant la trajectoire d'une caméra ne filmant rien d'autre que du vide, un béton crasseux et anonyme dont la seule présence à l'écran suffisait à faire naître la terreur la plus profonde. Catacombes, c'est un peu ça : un found footage à l'image trop sombre pour qu'on y distingue vraiment quelque chose, mais dont la puissance d'évocation ramène à une angoisse viscérale, certes irrégulière, mais bel et bien là, en plusieurs occasions, quand (par miracle, par talent ?) le réalisateur parvient à capter l'essence même du genre found footage, il faut le dire sacrément malmené au cinéma malgré un potentiel que seul Le Projet Blair Witch a su exploiter à 100%.

Il y a déjà un petit truc d'attachant avec Catacombes, c'est son casting, son pitch, et sa production internationale complètement chelou. L'histoire, qui se passe à Paris et raconte la recherche de la pierre philosophale, recourant pour cela à un background vaguement spielbergien qui ne fonctionne pas trop mal. Melting pot d'acteurs britanniques, américains et français, le film réunit à l'écran Ben Feldman (coutumier du genre, déjà à l'affiche de Cloverfield), Edwin Hoge (spécialisé dans les nanars lo-fi comme American Nightmare ou All The Boys Love Mandy Lane), François Civil et Ali Marhyar, compagnons de route de Pierre Niney et rencontrés dans plusieurs (très) bonnes comédies romantiques françaises comme J'aime regarder les filles ou 20 ans d'écart. Le film est lui-même réalisé par John Erick Dowdle, qui avait carrément été mandaté par Shyamalan il y a quelques années pour tourner Devil, curieux slasher occulte où le diable prenait la forme d'un ascenseur : on avait là une sorte de remake libre de "L'Ascenseur" de Dick Maas, sévèrement nanardesque sur les bords mais assez sympa au final. Cet amour de l'angoisse verticale, ébauché grossièrement mais avec une certaine passion dans Devil, John Erick Dowdle le remet en marche dans Catacombes, en s'armant d'une nuée d'influences là encore trop librement interprétées pour être considérées comme du pompage, ce qui n'est pas plus mal : on retrouve le trip occulte de Blair Witch, l'atmosphère claustro de The Descent, même une louche de Tomb Raider (pour l'héroïne archéologue belle et acharnée), un soupçon de Dan Brown ou de Spielberg (ah, les mystères de Paris !) et un zest de James Wan pour l'outrance ponctuelle de certaines scènes de terreur. Oui, ça fait peur. Mais plutôt dans le bon sens du terme, en fait.

D'abord parce que Catacombes est beaucoup moins con que la plupart des autres films du genre. Bon, il y a une palanquée d'incohérences, de trucs bizarres, d'effets spéciaux foireux et de personnages aux réactions totalement stupides. Il y a triche, également, à de nombreuses reprises, pour abandonner l'aspect "found footage" et mettre en scène l'action par des angles suspectement cinématographiques qui trahissent le concept initial. Si on prend le film dans son ensemble, environ la moitié de sa durée totale est dénuée d'intérêt et offre un contenu désespérément prévisible et niais, parfois même ouvertement malhonnête. Pour cette raison, le film ne dépassera pas la note visible plus bas. Mais pour le reste du temps, c'est déjà autre chose. Quand il abandonne la mise en place de l'action (tristement forcée et de surcroît bien cliché pour nous autres Français), qu'il joue le jeu du found footage et qu'il se concentre sur la peur, John Erick Dowdle fait montre d'un talent surprenant, nettement supérieur à ses précédentes tentatives et qui parvient même, lors de plusieurs séquences, à éblouir. Ce sont de brefs sas d'angoisse sourde, qui savent monter crescendo et installer sur la fin une atmosphère particulièrement singulière, étouffante, où l'on se sent littéralement pris au piège entre Blair Witch et The Descent, avec une recherche graphique et sonore qui fait mouche.

Catacombes n'est jamais aussi bon que quand il ne montre rien. On l'a dit, le travail sur le son est assez remarquable, on insiste là-dessus : ce que le film ne sait pas ou ne veut pas montrer par l'image, il le montre par le son, ici étouffé, distordu, parcouru d'artefacts bizarres qui proviennent d'on ne sait quelle partie de ce labyrinthe souterrain aux nombreux goulets d'étranglement. Parmi les très bonnes idées mises en œuvre dans ce Paris souterrain, notons une sonnerie de téléphone filaire qui retentit au plus profond des ténèbres, comme s'il pouvait se trouver dans cet ossuaire un foutu appareil de ce genre ; un chœur de fanatiques religieux, addition de notes discordantes dont l'écho se répand dans tout le réseau de galeries. Comme les personnages, le spectateur est à l'affût du prochain son étrange, parfois accompagné d'images assez réussies, de monstres dont on ne voit presque rien, assis sur des chaises, cachés par des voûtes en pierre. Sur la fin, la violence augmente, les situations gagnent en étrangeté, tandis que l'héroïne et ses acolytes approchent de la fameuse pierre philosophale. Le visuel s'en mêle, approchant le noir avec plus de finesse, faisant naître l'angoisse par la présence de couleurs incongrues ou évoquant l'enfer.

Pour toutes les fois où le film commet une malhonnêteté flagrante d'écriture ou de mise en scène (soit environ toutes les dix secondes), il se rattrape par une trouvaille d'angoisse ou de terreur très ponctuelle mais aussi très gracieuse. Vraiment, il y a plusieurs excellents moments dans ce film, qui digère assez bien ses multiples sources d'influence et dont le principal défaut est d'être très paresseux dans tous ce qui ne touche pas à la peur pure. Aucun personnage n'est vraiment intéressant, tous les acteurs, même les plus sympa, ne sont que l'ombre d'eux-mêmes, ce foutu concept de GoPro vissée sur le crâne est trahi tellement de fois qu'on finit par arrêter de les compter, mais il y a définitivement quelque chose que le réalisateur et ses acolytes ont réussi à capturer. En dépit de cela, le scénario lui-même est intéressant, mais sa mise en scène ne lui permet jamais vraiment d'exister, de l'arracher à sa triste condition de prétexte qu'il aurait pu pourtant facilement surpasser. Quand arrive la fin, assez forte mais paradoxalement très faible par rapport à son réel potentiel, on est un peu en nage, et un peu en rage. Qu'aurait-on pu avoir si le film avait respecté jusqu'au bout ses promesses, s'il ne s'était pas laissé aller aux innombrables facilités que l'on peut y relever ? C'est typiquement l'apanage des nanars sympathiques, ces semi-échecs qu'on est obligés d'aimer pour la simple raison qu'ils sont parfois extrêmement proches de la plus totale réussite : on croit vraiment qu'on va s'éclater, quand tout à coup le rythme s'interrompt, qu'une astuce bidon de mise en scène ou une ligne de dialogue périmée vient briser l'harmonie presque atteinte. Reste que Catacombes possède suffisamment d'atouts pour vous réconcilier avec le genre, particulièrement si vous avez aimé le Projet Blair Witch et si ses successeurs ne vous ont arrachés au mieux que des bâillements, au pire que des rires. Il y a peut être un salut pour ce cinéma, après tout.
boulingrin87
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le 23 nov. 2014

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Seb C.

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