C'est beaucoup plus simple que le précédent, ça se rapproche, disons, plutôt de Syndromes and a Century que d'Oncle Boonmee, ça sonne comme un adieu, une élégie où les guerriers acceptent de s'endormir pour renaître en des temps meilleurs, c'est d'une tristesse folle. Le film ne cesse de glisser (d'un monde à l'autre, d'un temps à l'autre...), ce glissement crée un corps, et ce n'est pas un hasard si l'une des toutes dernières scènes tient de l'érotisme (étrange, certes, comme érotisme). Car la pudeur est là, autour de ces corps de soldats endormis, au-dessus desquels on a tiré des draps et des couvertures ; et le film, strip-teaseur, se dénude progressivement : nudité de la vision - les personnages eux-mêmes doivent se dévêtir pour recouvrer la vue.
Il y a aussi un aveu dans ce film d'Apichatpong Weerasethakul, qui je crois vaut pour tous ses autres films : air et eau sont une seule et même chose. L'équivalence, d'abord, est suggérée par le ventilateur qui devient moulin, puis par ce plan de ciel sur lequel glisse une bulle. L'indice d'un vieux figuier la confirme. La trace d'une inondation passée sur son tronc n'est pas seulement la marque d'un royaume englouti, mais aussi celle du grand liquide où nous baignons même au grand air. On a beaucoup vu, dans son cinéma, des gens porter avec eux des poches en plastique remplies de leurs propres sécrétions ; ici, dans Cemetery of Splendour, ce détail se synthétise superbement : cette eau intérieure que nous portons tous est le souvenir dans la grande eau qui nous recouvrait tous.

Multipla_Zürn
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le 13 sept. 2015

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