Le nouveau film de Paolo et Vittorio Taviani (164 ans à eux deux, les bougres), quand même ours d’or au dernier festival de Berlin, tombait à pic, supputait-on, pour faire oublier la grosse flaque de formol vomie récemment par Alain Resnais (Vous n'avez encore rien vu). Las ! Là où Resnais s’embourbe, radote puis irrite, les frères Taviani irritent, radotent puis s’embourbent (CQFD). La comparaison était plus que tentante, forcément. Le film des Taviani n’a pas d’allant, pas assez de vivacité ni de passion, quand le truc momifié de Resnais ne provoque qu’ennuis et allergie chronique au théâtre antique. Shakespeare et Anouilh, César et Eurydice, même bérézina.

Vouloir célébrer l’action artistique à travers l’univers carcéral et celui des planches, bien sûr, mais alors il faut réussir à enflammer, à dépoussiérer tout ça (et ce n’est pas un simple noir et blanc somptueux qui va y parvenir). C’est le même écueil que l’on retrouvait dans le Resnais : ne pas pouvoir retranscrire à l’écran des mots qu’on dira "datés", l’abondance du texte, son exigence, sa poésie d’un autre temps, à les faire bouillonner, à les rendre tangibles et lumineux. Ici, ça manque de brio, de zèle, de olé, et ça manque de vie aussi malgré des "acteurs" (criminels, trafiquants et mafiosos qui jouent à jouer du Shakespeare) habités et passionnés par leur rôle respectif, et emportés par l’élan créatif général.

Les Taviani ont tourné leur machin dans une prison italienne de haute sécurité avec de vrais détenus amateurs de la scène et de belles tirades, où la perspective de la trame originale et des situations (trahisons, clans, assassinats…) se retrouve calquée dans les paroles et les actes de tous les jours, des cellules aux petites cours, de la bibliothèque aux couloirs nus. Au-delà de la pièce choisie (Jules César), l’acte d’interprétation est perçu, vécu comme un allégement de l’âme, du corps et de chaque geste, lourds entre ces murs, empêchés contre ces barreaux, retenus derrière ces portes.

Le théâtre offre à ces gentils messieurs, au physique patibulaire, un sentiment soudain de liberté, de révolte intérieure, de grâce tragique sous les drapés et les tuniques. À l’instar du dernier épisode de la série Oz où les prisonniers du pénitencier d’Oswald déclamaient du Macbeth à l’unisson, la force du jeu permet aux uns comme aux autres de s’exprimer à mots (c)ouverts (ceux du dramaturge), d’enrager et d’élever sa voix au-delà des réalités d’une rude condition. Douche froide donc pour ce vrai faux documentaire en forme d’exercice de style pas très convaincant, et qui passe mieux qu’un Resnais moribond parce qu’il dure à peine 80 minutes (mais qu’on ne se méprenne pas : c’est bien là une triste consolation pour une si grande déception).
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le 19 oct. 2012

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