Logique de vouloir s'arracher la bite et les yeux avec une telle "famille"

Une quinzaine de paillasses humaines sont dans un train puis chez Jean-Baptiste pour son (ultime) enterrement. Signé Chéreau (La chair de l'orchidée, Intimité, Persécution) et tourné juste après sa Reine Margot, Ceux qui m'aiment prendront le train est un film choral en deux temps : le premier est un enfer (tellement caricatural qu'il en deviendrait divertissant), le second plus doux. Dans l'ensemble, on dirait un de ces films ou téléfilms débiles sur la famille, se voulant, comme tous les ringards à courte-vue et en manque de reconnaissance, en phase avec son temps – donc, aux alentours de l'an 2000, avec des minorités sexuelles partout dedans (en fait, la moitié des personnages sont des homosexuels mâles ; on ajoute juste une transsexuelle). Mais en version culturo-mondaine ; fatiguée, voire avachie certes, mais toujours un peu émoustillée, livrant sa cohorte d'effusions excentriques et de déclamations ridicules.


Dès l'ouverture nous sommes prévenus : malgré Massive Attack à la BO, c'est un cauchemar, avec toutes les reliques des gardiens de la culture swag-élitiste et des obsessionnels de la libération dite de 'l'esprit' et (plus sûrement) du cul, à la française. Le frère de Jean-Baptiste récite des écrits de la dernière heure du défunt tant regretté, visionnaire et influent. Des déblatérations de connard vaniteux. Jean-Baptiste le 'provocateur' bidon joue le grossier personnage fortement cultivé et intensément philosophe. On raille toujours les mêmes, quoiqu'on ne connaisse rien d'autre que nos petits chichis, nos petites références de midinettes moralisatrices et alignées (un coup dans la gueule de la France et ses habitants médiocres, collabos, etc ; heureusement, ce n'est que par habitude, le sujet n'est pas là). Pendant ce temps se faufile une 'rencontre' gay à la gare, un instant magique comme seules les âmes liquéfiées de pattes molles atrophiées peuvent y être sensibles.


Le narrateur, qui revient plusieurs fois dans le film (toujours au travers de son frère – on ne verra jamais ne serait-ce qu'une photo du grand absent), semble éprouver à chaque phrase, à chaque déglutition de son existence, le besoin impérieux de jouer les génies désinhibés. D'après les faits rapportés ou ressentis par son entourage, il absorbait son petit monde et le rendait dépendant pour mieux pouvoir l'humilier – oui mais en boostant la vie. Il se permet des élucubrations débiles censées épater la galerie voire lui mettre à la larme à l’œil ; pour accompagner ces mouvements délicieux, des petites musiques pop-rock, parfois médiocres, souvent hype ; ou des revival de vieux tubes de hippies lourdingues. Tout ça se veut euphorisant et cool, on dirait un peu du Wes Anderson de plouc croulant. Manifestement les auteurs adhèrent à fond, éprouvent une affection voire de l'admiration pour ce géant tyrannique que tous regrettent – peut-être de l'envie. Le scénario, écrit par Chéreau et Pierre Trividic (Dancing) vient d'une idée de Danièle Thompson (La Boum, Belle maman, Le code a changé), suite aux obsèques de François Reichenbach (L'Amour de la vie – Artur Rubinstein, J'ai tout donné), auxquelles elle avait participé.


Quasiment tous les personnages du film inspirent un dégoût intense, presque une rage froide et un désir de voir ce train se crasher. Il faudrait bien ce genre de justice pour arrêter ce dégueulis si obscène et sûr de lui ! Si seulement tous ces petits cafards lustrés, bons petits bohémiens de salons, avaient de réels problèmes, des menaces sur leur tête, des troubles sévères ! Les voir tous chialer sur des peccadilles ahurissantes de nullité, bonnes à ébranler des rebuts fragiles, provoque une telle sidération qu'on en oublie de les haïr. Tout ce spectacle ressemble un peu à du Téchiné qui aurait dégénéré, perdu toute sa grâce et son acuité, pour rentrer dans une sorte de déflagration bouffie et purulente. Ceux qui m'aiment c'est boboland pride libérant toute sa beaufitude (qu'elle ignore), avec tout de même une petite fibre aventurière par moments. L'intervention de Charles Berling au cimetière est un comble. Ça ferait une belle constitution pour ces ados égoïstes, oubliant juste de réaliser qu'ils ont besoin les uns des autres pour faire leurs pitoyables petits numéros. Un chantre du bouffage de cul et de l'assimilation de sa truculente imbécillité à de l'art ne peut qu'être leur héros.


La seconde partie, à Limoges, se veut plus calme et limpide ; elle y réussit mollement mais semble, par contraste, d'une dignité et d'une lucidité remarquables. Les grosses mises au points et l'inventaire sur le mort sont exécutés rapidement, ce qui permet d'enchaîner sur un ensemble largement foutraque et insensé, mais relativement aimable. Les affrontements 'graves' tombent à l'eau, malgré des corps-à-corps énergiques. L'entrée en scène de Trintignant et du post-Frédéric (Vincent Pérez) est bénéfique, apportant un peu de 'présence', d'humanité et d'individus intéressants à un film en manquant cruellement. Tout le petit monde autour ne gagne pas en consistance ; il devient plus valable car l'heure est venue pour lui de s'éteindre, d'accompagner piteusement au mieux. Claire/Bruni-Tedeschi fait exception, après avoir été la quintessence de la tête à claques. Connasse outrée dont chaque parole n'est qu'aigreur banale et démonstrations d'une inspiration nullissime, elle joue très mal la rebelle clairvoyante et ferait peut-être mieux de s'en tenir, comme les autres, à la masturbation de son petit nombril de fofolle malheureuse. C'est ce genre d'individus nerveux et plein de problèmes prompt à gueuler « retenez-moi ou je fais un malheur » ou encore « j'en ai rien à foutre de ce que vous pensez de moi, eh vous m'entendez, eh vous avez vu ma grosse indépendance ? ». Heureusement lorsque tout le monde explosera elle sera au-dessus de la mêlée, dépassant son stress de pouffiasse larguée et ses frayeurs de femme enceinte, pour arriver à une sorte d'humilité et un semblant d'équilibre rafraîchissants.


https://zogarok.wordpress.com/2016/07/14/ceux-qui-maiment-prendront-le-train/

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le 17 déc. 2015

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