juil 2011:

Je crois que "Christine" est le premier Carpenter que j'ai vu quand j'estois marmot. Je l'ai vu en salle à l'heure des premiers poils pubiens et j'avais été impressionné bien entendu par le propos. Sorte de "Carrie" au masculin, Arnie (Keith Gordon) est un vermisseau qui au contact d'une superbe Plymouth hantée, devient de plus en plus méchant.

Le film traite donc de ce foutu passage de l'adolescence, cet âge si pénible d'incertitudes, où le douillet confort de l'enfance se fait la malle quand l'angoissante rudesse de l'âge adulte pointe le bout de son nez, d'abord de manière assez confuse, puis de plus en plus violente et effrayante. Pour certains, c'est l'heure de la désillusion. On abandonne ses rêves, on s'adapte tant bien que mal. Et la façon dont on percute les autres est pour beaucoup dans la trajectoire que la vie prend.

John Carpenter aborde tout cela par la bande, comme De Palma l'avait fait avec "Carrie", en montrant l'évolution inquiétante du personnage et sa relation avec sa voiture au détriment des autres. Il arrive que les ados se coupent du monde. C'est bel et bien à une rupture sans retour que le cinéaste veut nous faire assister.

La métaphore est parfois assenée bien rudement. On frôle quelques fois la caricature dans les crises adolescentes mais ce n'est sans doute pas là que se situe la richesse du film. John Carpenter, outre cette espèce de provocation souriante mais subversive qu'il met dans chacun de ses films est un foutu bon faiseur de films, déployant des trésors d'ingéniosité pour raconter avec puissance une histoire. Et "Christine" fait sur plusieurs séquences étalage de cet art de la narration. Les scènes construites par Carpenter sont redoutables.

Les amoureux du rock'n roll américain pourront voir dans ce film comment cet univers artistique est apprivoisé par le cinéaste, que ce soit dans les rutilants chromes de la voiture, directement dans l'accompagnement musical ou dans la manière dont le personnage se révolte avec férocité contre le monde qui l'agresse. Film purement rock'n roll, aux couleurs inscrites en rouge et noir, rouge comme la peinture métallisée, le cuir des sièges, le blouson d'Arnie, noir comme ses yeux, son destin, ces nuits qui enveloppent la vengeance du couple maudit.

J'aime beaucoup ce film, l'amusement que l'on devine chez John Carpenter à écrire, mettre en musique et en images cette bande dessinée, ce film révolté. Les dialogues très crus et violents sont assez drôles, montrant très bien le contraste entre une société policée, lisse et politiquement correcte, riche aussi et celle des délaissés, celle que chante le rock'n roll, âpre, repoussant violemment l'hypocrisie qui commande les rapports sociaux.

Le film est bourré de personnages truculents. Je pense évidemment aux jouissifs Robert Prosky et Roberts Blossom, plus white trash que jamais.

Combien ensuite de clins d'œil galopins, montrant l'espièglerie de Carpenter? Et là je pense de suite à cette scène hallucinante où Leigh (Alexandra Paul) s'étouffe dans la voiture, puis se fait sauvagement bousculée par un quidam pour l'aider à expulser le morceau de sandwich récalcitrant : on assiste à une imitation de levrette des plus palpitantes.

On pourra toujours et avec légitimité fustiger un choix pas toujours judicieux dans le choix des jeunes comédiens. Que ce soit John Stockwell, gentille frimousse mais présence aussi éclatante que celle d'un poulpe mort-né, ou bien la très belle Alexandra Paul dont les talents d'actrice font tout aussi piètre figure. Concernant Keith Gordon, sa prestation est honorable sur une large portion du film mais au fur et à mesure que son personnage verse dans les outrances de la folie, son jeu perd en finesse. Les derniers plans dans la voiture prouvent aussi qu'il n'est pas aidé par un maquillage sans doute abusif. M'enfin... on comprend qu'il soit l'acteur d'un seul film, le pauvre.

Heureusement pour moi, je sais me focaliser sur John Carpenter, ses idées, ses mouvements de caméra, son découpage scénique, ses cadrages, ses jeux de lumières, sa musique au style inimitable et tellement angoissant. J'ai une nouvelle fois passé un très bon moment de cinéma pop-corn. Du ciné bis, certes, et alors?
Alligator
7
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le 19 avr. 2013

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