Adapter le roman inadaptable qui m'a forgé

Remontons en arrière. J'ai 15 ans, je suis en première, et avec ma meilleure amie, Pauline, nous regardons en boucle cette bande annonce de 6 minutes, hypnotisante et mélancolique, mêlant à des époques différents des acteurs que je connaissais déjà un peu, le tout rythmé par une musique (dont celle de M83 magnifique) entêtante et fantasmagorique.


5 ans plus tard, je n'ai toujours pas vu le film, et Cartographie des Nuages, qui orne ma bibliothèque depuis si longtemps déjà, m'accompagne dans un voyage d'étude qui changera ma vie, en Norvège. Et Cartographie des Nuages, dans ce contexte, deviendra mon roman préféré, que je pense, aujourd'hui à 25 ans, indétrônable dans mon petit coeur.


Cartographie des Nuages, de David Mitchell, porte en son coeur des valeurs d'humanisme, de tolérance et de progressisme incommensurables, non pas parce qu'il fait l'étalage d'une "bien-pensance" (propos anti-racistes, gay-friendly, écologique, pacifique), mais il fait état des conséquences de nos actes, et des bienfaits qu'apportent le combat pour la dignité des plus faibles. Récit en 6 époques sur l'altruisme et l'humain, il démontre surtout les liens invisibles qui lient chacun de nous, dans le présent, et les conséquences de nos actes sur l'avenir. Ces valeurs et cette vision ont participé à forger qui je suis, aujourd'hui.


Alors, étant donné son piédestal dans mon imaginaire, et la structure narrative du roman si particulière (chacun histoire démarre de la plus ancienne à la plus future, en coupant même parfois un récit au milieu d'une phrase pour passer au suivant, et se termine de la plus future à la plus ancienne), j'attendais l'adaptation du roman au tournant (j'avais la chance de ne pas encore avoir vu Matrix avant, j'étais donc assez impartial du point de vue des réalisatrices), avec un peu d'inquiétude.


J'ai deux griefs vis-à-vis de ce film. Le premier, c'est de ne pas avoir respecté la structure narrative du roman, qui permet d'avoir un film un peu moins "mal-aimable" pour le spectateur, mais qui perd le souffle épique et symbolique des histoires et du roman en général. Le second, c'est d'avoir fait du 5e segment (dans l'ordre chronologique des époques), celui se passant à Néo-Séoul, un actionner un peu bourrin, alors que c'est ce segment en particulier qui approfondi et explicite le sous-texte philosophique, politique, symbolique du récit.


Au delà de cela, le film met le roman en perspective de façon impeccable et admirable. Les partis pris du scénario apportent même parfois des améliorations au récit notamment avec la redite de certains lieux géographiques d'une époque à l'autre, ajoutant à l'impression de liens entre les temporalités. Mais c'est surtout les choix de casting, avec cette troupe d'acteurs incroyables reprenant chacun un rôle dans chacune des époques, qui fait du film une extension fascinante du livre. C'est d'autant plus important que les "méchants" sont le plus souvent incarné par les même acteurs (sauf dans certains segments, dont le 1er où Tom Hanks campe un méchant hideux et terrifiant), Hugo Weaving et Hugh Grant, car cela souligne le propos du roman : Le mal vient toujours des mêmes maux, le fanatisme, la cupidité, l'ambition, la jalousie et la peur.


Les Wachowski et Tom Tywker ont réalisé une prouesse : adapter un roman quasi-inadaptable, et réaliser un film qui tient debout, du début à la fin. Je ne saurais assez remercie ce film d'avoir mis des images sur mon imaginaire, sans jamais galvauder le fantasme que j'entretiens pour l'oeuvre romanesque originale si importante pour moi.

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le 14 juil. 2021

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Agregturp

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