Coexister par pierrick_D_

Nicolas,patron d'un label musical en perdition,se voit mettre la pression par la patronne du grand groupe industriel qui a racheté sa boîte.Faute de résultats rapides,il sera viré.Il a alors l'idée de s'inspirer du succès du trio de curés chantants "Les Prêtres" en allant plus loin et en unissant des représentants des trois grandes religions monothéistes.Il part donc à la recherche d'un rabbin,d'un imam et d'un curé capables de chanter correctement et prêts à accepter le deal.Mais entre un juif flippé qui ne sort jamais de chez lui,un catho pur et dur allergique au showbiz et un musulman dragueur et alcoolo pas plus imam que Jean-Marie Le Pen,l'entreprise se révèle compliquée à finaliser.L'humoriste Fabrice Eboué réalise ici son troisième film,dont il est également scénariste et producteur,mais c'est la première fois qu'il opère seul,ses précédents essais étant coréalisés avec Lionel Steketee et Thomas N'Gijol.Il faut croire que ses collègues freinaient ses ardeurs car "Coexister" est bien meilleur que ses deux autres opus et il y exprime carrément sa propension au mauvais esprit et au politiquement incorrect.Eboué va aussi loin qu'il est possible d'aller dans le contexte verrouillé par la bien-pensance du cinéma français.Il est même étonnant que son film n'aie pas provoqué de remous,peut-être le fait d'être noir a-t-il protégé l'auteur.Sur la lancée de ses provocations scéniques,il ose tout et met tout sur la table,la pédophilie des curés,la Shoah victimaire,le terrorisme islamique,le conflit palestinien,l'hypocrisie religieuse,et ça déménage d'un bout à l'autre car c'est franchement hilarant,Eboué ayant un grand sens de la punchline et de la situation qui dérape.Sur fond de coulisses d'un showbiz où prospèrent les arnaques,les trois loustics passent leur temps à se vanner,s'engueuler et se battre,en parfaite contradiction avec le message véhiculé par leur association artistique,tout ceci sous l'oeil impuissant d'un Nicolas dépassé par les évènements et surtout préoccupé de renouer avec sa femme qui l'a largué.Les types ne font pas beaucoup d'efforts pour "coexister" et ça part en vrille régulièrement.La mayonnaise va pourtant prendre et le succès arriver,tandis que les chanteurs s'apprivoisent et finissent par se lier d'amitié tout en trouvant une belle cohésion sur scène.Ce qui ne les empêche nullement de mettre l'édifice en péril à tour de rôle.Moncef fait le mur,se tape des putes et fait des déclarations fracassantes lors des interviews,à la grande consternation de ses camarades.La façon dont il approuve une auditrice stigmatisant l'homosexualité de son fils lors d'une émission de radio est à hurler de rire,sur le mode "oui,tenez bon madame,je vous jure qu'on va le guérir!".Samuel est tellement stressé que son boss finit par le shooter à la coke à son insu,ce qui le rend totalement extraverti sur scène.Benoît quant à lui sent vaciller son voeu de chasteté face au rentre-dedans que lui fait Sabrina,l'assistante délurée de Nicolas.Toutes les scènes contiennent leur lot de délires bien sentis et l'humour ne faiblit jamais.Derrière ces guignolades apparait même une réflexion intéressante sur les rapports difficiles entre capitalisme et spiritualité.Au départ les gars agissent par intérêt financier mais peu à peu leur complicité sur scène et en dehors les élève au-dessus des basses contingences pécuniaires,d'autant qu'ils entraînent dans leur univers un public conquis et ravi de cette communion oecuménique.Certes,on peut gloser sur le côté utopique de la chose mais introduire,ne serait-ce qu'un instant,une dose de spiritualité dans une comédie française est assez peu courant pour être signalé.En plus,la chanson "Coexister" est très bien écrite.L'ensemble ne tiendrait pas la route sans une distribution de haut niveau et la production,EuropaCorp en l'occurrence,a eu la main heureuse en embauchant des pointures déchaînées,la palme revenant à Jonathan Cohen et Ramzy Bedia,absolument énormes.Le premier,décidément un génie à l'aise dans tous les registres comiques,est époustouflant en rabbin traumatisé par une horrible expérience,la circoncision la plus rock'n roll de l'Histoire du Cinéma,qui lutte contre le stress en inhalant de l'eau de la Mer Morte en spray.Ramzy fait également merveille en faux imam mais vrai musulman réac et borné,sauf quand il s'agit pour lui de transgresser les interdits.Guillaume de Tonquédec est plus en retrait mais c'est son rôle qui veut ça,et il assure parfaitement en curé rigoriste dont les certitudes s'effritent.Fabrice Eboué joue le meneur de jeu avec sobriété et son air abattu de Droopy contraste idéalement avec les extravagances de ses artistes.Audrey Lamy est émouvante en fille paumée abonnée aux coups d'un soir qui craque pour un ecclésiastique.Mathilde Seigner apparait peu mais bien en executive woman carnassière et hypocrite au regard fixé sur les courbes de profit et le CAC 40.Amelle Chahbi tient bien l'emploi de l'ex blessée et Michel Drucker est dans un rôle qu'il connait bien,le sien.La démo de Jean-Pascal Zadi en rappeur gay est à se tordre.Eboué nous surprend jusqu'au bout avec un faux happy-end qui se clôt de manière affreuse.Il y a toutefois une ombre au tableau,la suppression par Eboué de la scène tournée par Franck de Lapersonne et refaite avec un autre acteur,car il se trouve que le comédien avait eu le malheur de militer au Rassemblement National,ce qui équivaut dans le si ouvert et amical milieu du spectacle à une mort sociale et professionnelle.D'ailleurs Lapersonne est blacklisté et n'a plus rien fait depuis son engagement politique ni au théâtre,ni au cinéma ni à la télé.La liberté d'expression vue de la gauche "libérale".Ceci dit,cette décision n'était peut-être pas celle du cinéaste,qui aurait pu y être contraint par la prod,ce qui ne serait guère étonnant venant de la Besson Inc. .