Dommage.
Sur le papier cette adaptation de Lovecraft avait des arguments pour convaincre. Une bande annonce pas mal foutue et une affiche sympa un peu retro m'ont finalement poussé à tenter le coup à l'ouverture du PIFFF 2019 à Paris où le film était présenté.
Le réalisateur barré Richard Stanley s'est engagé dans l'adaptation de la nouvelle la plus financièrement abordable de l'écrivain (selon ses propres mots), et malheureusement, ça se sent. De l'écriture au rendu de certains effets visuels en passant par une interprétation bas de gamme, Color Out of Space manque cruellement de ressources.
Pourtant, il y a de bonnes idées visuelles, quelques effets sont réussis


(le glitch temporel dans les déplacements des personnages à la toute fin par exemple)


, mais ils sont mal utilisés et devraient davantage relever de la suggestion ou de quelques chose d'encore plus abstrait.
Le film aurait gagné à être élargi dans plusieurs sens du terme, à montrer davantage les transformations sur l'environnement (forêt, jardin, route) et sur les relations qu'entretiennent la famille avec le voisinnage. La mise à l'écart de la famille et de sa ferme contaminée est un élément important de la nouvelle de Lovecraft. Elle s'étale aussi davantage dans le temps, sur plusieurs saisons, où le mal s'imprègne véritabelement dans chaque détail du quotidien de cette famille.


A mon sens, le coeur du problème reste une écriture vraiment brouillonne et des enjeux absurdes. Le rythme des événements est mal orchestré de sorte à ce que les réactions des personnages face au mal qui les ronge n'est plus du tout authentique. J'aurais apprécié une progression dramatique plus subtile face aux événements.


Le fils Benny qui se jette littéralement dans le puit après avoir entendu son chien disparu déjà depuis longtemps m'a particulièrement énervé.


Alors oui, on a les moments Cage que tout le monde attendait mais ça ne sauve pas des personnages secondaires désespérément creux dans leur jeu comme dans leur écriture.
Le problème c'est que le tout renvoie en permanence à un sérieux déstabilisant qui m'a vraiment agacé. Quitte à rassembler des personnages secondaires assez improbables


(un hydrologue, un ermite hippie, une ado gothique qui invoque l'aide de Satan)


, autant en faire un cocktail un peu plus explosif. Sans parler des Alpagas de Nicolas Cage qui ont beaucoup faire rire la salle. Est-ce par respect pour l'oeuvre de Lovecraft qu'il n'y a pas de bascule totale dans le second degré ? Car avec de telles propositions de départ, il me semble plus dur d'entrer dans un univers horrifique tout de même bien plus austère (la nouvelle originale fait le portrait d'une ferme tout à fait banale des années 1920 et c'est ce qui la rend justement effrayante).
Je ne vais pas non plus m'attarder sur la musique, pourtant conçue par l'excellent Colin Stetson qui a notamment signée la bande originale de Hérédité (Ari Aster 2018). Elle est ici simplement assourdissante dans les moments de Climax, flirtant avec des sonorités rappelant les limites de nos perceptions sonores dans les ultrasons et les infrabasse mais qui ressemble finalement plus à du Hanz Zimmer sous LSD.


Pourtant, des films similaires arrivent à atteindre une espèce d'équilibre entre trip esthétique, simplicité scénaristique et utilisation assumée des codes gores de série B. Je pense notamment à Mandy (également produit par SpectreVision), un film d'autant plus concerné car on y retrouve un Nicolas Cage déchainé, qui peut devenir un catalyseur de second degré exceptionnel. Mais là où Mandy fait une proposition honnêtement décalée mais belle


(comme la bataille de tronçonneuse jouissive au possible)


,Color out of Space s'éfrite entre des choix scénaristiques grossiers mal ficelés et des sous intrigues pas franchement utiles et des codes du film d'horreur maladroitement exploités qui anéantissent une atmosphère qui a pourtant un vrai potentiel inquiétant car réellement indéscriptible.


Adapter Lovecraft est de toute façon très périlleux, Stanley n'est pas le premier à s'y casser les dents.
Deux autres adaptations de ses nouvelles seraient déjà prévues ! En espérant que Color Out of Space serve au moins à préparer le terrain pour quelque chose de plus ambitieux (surtout financièrement) et de plus profond, ce que l'oeuvre de Lovecraft mérite amplement.

MaxVH
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le 12 déc. 2019

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MaxVH

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