Avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous laisse admirer un peu l'ironie de la situation dans laquelle j'ai pu visionner le film: il faut savoir que Chomsky est assez connu (enfin...pour ceux qui le connaissent déjà un peu) pour sa critique des intellectuels français, qu'il voit généralement comme de beaux parleurs pas franchement utiles à la vie politique ou même théorique. L'archétype de leur formation étant Normale Sup' (**fabriquant d'intellectuels français depuis des siècles**. Je vous laisse checker les personnages illustres du XXème qui en sont sortis, et vous faire un petit panthéon personnel des cibles visées. Perso j'ai un dossier sur mon ordi avec les photos des accusés, et c'est assez drôle). Peut-être que Chomsky a été refroidi par le fameux débat qu'il a eu avec Foucault - vous pouvez le regarder sur Youtube, même si je trouve qu'il est franchement nul ce "débat". D'ailleurs, c'est dommage que je ne puisse pas en faire une critique intégrée dans celle-ci, parce que ça m'hérisse toujours le poil d'entendre des gens dire que Foucault a cassé Chomsky comme un pro et aurait "remporté le débat haut la main", alors qu'ils ne parlaient juste pas du tout de la même chose, il n'y a même pas eu de débat, c'est juste que Foucault fait son beau-parleur alors que Chomsky se montre assez humble par rapport à ses propres conclusions. Mais revenons à nos moutons. Enfin, à ma petite anecdote.
Il se trouve que l'ENS organisait une avant-première avec Michel Gondry (où je suis allée). J'imagine que ça représente un peu l'anti-chambre de l'Enfer pour Chomsky... Il a du se retourner dans sa -- oups, j'ai failli dire "tombe", alors que celui-ci n'est pas encore mort -- se retourner dans son bureau du MIT. Mon lapsus est en fait révélateur d'une des motivations de Gondry pour ce film: "puisque Noam Chomsky est assez vieux, je me suis dit que je devais me dépêcher d'aller l'interviewer et de finir toutes mes animations avant que le grand ponte de la linguistique générative ne clamse" est presque une citation verbatim*.
Voilà, mon anecdote est finie, passons à la véritable critique.

Comment définir ce film ?
Un documentaire vulgarisateur des travaux de Chomsky ? Non, car il aurait fallu en dire un peu plus, comme dans une vidéo de la chaine Youtube Big Think par exemple. Là ça part un peu dans tous les sens: un peu d'éléments biographiques et de propos sur des questions de pédagogie, un peu de linguistique ici et là... Et on passe du coq à l'âne sans trop de lien. Par contre ce qui est rafraîchissant dans ce flot bizarre, c'est la présence de Gondry lui-même, qui admet honnêtement quand il ne comprend rien, qui n'a pas honte de son accent anglais horrible**, dont l'admiration pour l'homme qu'est Chomsky transparait sans cesse.
Est ce donc un film qu'il a fait pour se faire plaisir ? Oui - il en conviendrait lui-même je pense. Une sorte d'hommage. J'avais un peu l'impression d'un fan rencontrant son idole parfois...et je ne dis pas ça de manière péjorative, je suis une grande fan-girl moi-même - c'est juste que je n'aurais pas fait les choses de cette manière moi. Voilà, on y est, c'est ça. Je n'aurais pas fait les choses comme ça. Bon, je vais vous donner un exemple : j'ai été dérangée par les questions qu'il pose sur la femme de Chomsky, décédée assez récemment. Chomsky dit tout de suite qu'il ne veut pas en parler, mais pourtant ce passage est assez essentiel dans le documentaire. C'est aussi le plus touchant, il faut le dire - ça vous donnerait presque une petite larme à l'oeil. Mais je ne trouve pas ça forcément correct: sous prétexte de vouloir faire un documentaire en partie biographique, il insère ce passage, alors que Chomsky semble ne pas y être très favorable. Chomsky accepte de parler de sa vie quand elle a un rapport avec ses idées - par exemple il parle de son enfance et son éducation, et on peut mettre ça en lien avec ses idées sur la pédagogie - mais s'il n'a pas développé une théorie sur l'amour conjugal à ce que je sache, alors c'est compréhensible qu'il ne veuille pas parler de cet aspect là de sa vie. Ça existe, des penseurs qui n'aiment pas parler d'eux publiquement (par exemple Spinoza, qui avait demandé qu'à sa mort tous les passages personnels dans sa correspondance soient détruits). Mais bon, peut-être que je me fais ici défenseuse de Noam Chomsky, qu'on sent vulnérable sur ce sujet, alors qu'il peut très bien se défendre tout seul et que s'il ne voulait vraiment pas que ce passage apparaisse dans le film, il l'aurait dit à Gondry. Et puis je dois me corriger tout de suite: une rapide recherche google m'indique qu'il a déjà parlé amour dans d'autres vidéos ("life's empty without it" - big think). Bref, je ne sais pas trop comment justifier ça, mais ces passages sur la femme de Chomsky, ou sur son bonheur, m'ont gênée - comme si j'avais vu quelqu'un tout nu alors qu'il n'est pas exhibo.
Sinon, au niveau des animations - bon, je trouve ça super cool d'avoir tout animé à la main. Autant j'ai trouvé que certaines illustraient bien, autant j'ai trouvé que d'autres embrouillaient le propos. Et puis, si on considère encore une fois la vertu pédagogique, je pense que dans le même genre les vidéos de la chaîne youtube "RSA Animates" sont BIEN plus pertinentes. Elles sont géniales je trouve, ces vidéos.

Je vais peut-être m'arrêter là. Je doute que quelqu'un lise ce que j'ai écrit jusqu'ici de toute façon, donc je ne vais pas m'acharner... Je n'ai juste pas accroché. Pourtant, j'ai parfois souri, j'ai même ri, j'ai apprécié d'écouter Chomsky expliquer à un Gondry parfois complètement largué... Je n'ai pas passé un mauvais moment à le regarder - mais maintenant, je ne vois pas à qui je pourrais le conseiller: à mes amis qui ne sont pas en philo et qui voudraient s'intéresser à Chomsky ? Non, je leur filerais les liens d'autres vidéos dispo sur youtube. À ceux qui aiment Gondry ? Oui mais...ils trouveraient peut-être ça un peu long à la fin.
Voilà en gros les raisons multiples qui me poussent à ne mettre qu'un 4.

Je termine (enfin) en mentionnant que si après avoir vu ce film, ou une autre vidéo sur Chomsky, ou après avoir lu l'un de ces livres peut-être, vous avez une question a adresser à Chomsky, vous pouvez lui envoyer un email à son bureau (cherchez l'adresse vous-même sur internet, c'est trouvable) - une rumeur TRÈS répandue dit qu'il répond à tous !...À vérifier, avant qu'il passe l'arme à gauche ;)


Voilà, FINI. Même moi j'ai la flemme de me relire - j'espère donc ne pas avoir laissé trop de petites fautes d'orthographe.


*ouais, j'place des beaux petits mots anciens parfois.
**et pourtant, il a vécu (vit toujours?) aux USA, a travaillé avec des acteurs anglais pour faire des films en anglais... Donc en sachant ça, et en me souvenant de la fréquence avec laquelle ma prof d'anglais me disait qu'avec mon accent franchouillard on ne me comprendrait jamais outre-manche/outre-atlantique...je me gausse.
tambourinegirl
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le 26 avr. 2014

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tambourinegirl

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