Si le cerveau avait des yeux
Is the man who is tall happy ? The man who is tall is happy. Heureux de pouvoir s’exprimer une dernière fois avant de mourir comme l’a si bien souligné Michel Gondry. Empoignant sa caméra et accrochant le linguiste, le réalisateur s’empresse. Le sieur Chomsky n’est plus très loin de la mort et c’est ce sur quoi commence le film, un rappel à la mort qui effacerait la pensée du philosophe, ce à quoi Gondry répond par un besoin d’éviscérer le vieil homme. Triturer la parole pour essayer de lui donner un sens selon la pensée du réalisateur, hélas bien trop réduite par son inhabilité à la comprendre lui-même.
Réflexions sur la pensée, l’éducation, les sciences, le développement des sens, la politique, le langage, tout n’est que réflexions sans finalités, secondées par l’incapacité de Gondry à se faire comprendre de son interlocuteur. Gondry n’est pas ici une caméra ou un élève consciencieux, plutôt un journaliste, venu recueillir toute information croustillante dans le besoin de remplir un cahier des charges personnellement imposé, assez de matière pour tenter d’en imposer un plan construit, mais sans succès.
Poussant le vice encore plus loin, l’entretien ne se contente pas d’être un banal mais efficace plan fixe ou champ-contre-champ mais un florilège d’arabesques épileptiques dont la seule fonction serait d’embrouiller un dialogue déjà confus. Chomsky parle, parle, parle, nous écoutons, écoutons, écoutons puis nous nous dispersons, aveuglés par la folie meurtrière de Gondry, un bien piètre constat pour de si beaux propos, richesse foisonnante d’honnêteté. On ne suit plus la sagesse dialectique de l’intellectuel, qui se retrouve sacrifiée au profit de la partialité du réalisateur. Dantesque méli-mélo de d’idées, de couleurs et de mouvements, trois constatations que tout oppose ; la conversation n’en est plus une. Gondry montre de surcroît tout au long du film sa décision de faire non-pas un futur hommage à l’homme de pensée ou un médium favorable à son discours mais un brouillard filandreux, à l’image d’un enfant en bas âge tentant de comprendre le monde des adultes. Nous nous sentons agressés face à un écran si riche qu’il ne veut plus rien dire
Michel Gondry échoue à créer du langage cinématographique, qu’une cassette audio aurait pu remplacer sans difficulté. Un potentiel éminemment gâché, dommage. Ce film est à voir deux fois, une pour ses images et une pour ses paroles.