Mon admiration pour Lars von Trier est à l'image du niveau de radicalité de son cinéma : c'est haut et c'est fort ! Mais surtout, ne voyons pas von Trier comme un ''grand dégénéré assoiffé d'art et de violence'', mais plutôt comme un cinéaste filmant à hauteur d'hommes, pour parler de questions à grande échelle : le principe de communauté et d'esclavage dans le parfait Dogville; la morale dans Les Idiots; l'art et la violence dans les excellents Nymphomaniac et The House that Jack Built ...
Toujours dans une démarche ultra-réaliste, Lars von Trier dépeint un portrait de personnages torturés et enroulés dans un grand cercle créé de toutes pièces par notre société elle-même. Le spectateur ne peut qu'être alors traîné au sol dans un choc et une sidération qui le feront voir une vision cauchemardesque des déroutes de la modernité : l'art ne fait pas tous le temps du bien et Lars von Trier est bien placé pour l'illustrer.


Palme d'or 2000, Dancer in the Dark fût ma première découverte du cinéma de Lars von Trier. Une initiation assez spectaculaire, saisissante et qui m'avait poussé à découvrir le reste de l’œuvre du sulfureux cinéaste Danois (où je trouverai d'ailleurs de meilleurs perles). Dancer in the Dark raconte l'histoire de Selma Jezkova (Björk), une immigrée tchécoslovaque installée aux USA qui voit sa vie se partager entre une maladie l'a rendant aveugle, le travail infernal à l'usine, son fils, ses quelques amis fidèles et surtout sa passion évasive pour les comédies musicales. Sa légèreté et sa gentillesse vont faire émerger une face sombre de ses supposés proches.


Lars von Trier détruit complètement le mythe Américain des années 60 dans une froideur et une dureté qui ne laissera pas indifférent. Selma à décider de quitter le monde de l'est pour celui de l'ouest tant idéalisé à travers notamment la représentation mythique du cinéma. Sa volonté première est celle de pouvoir offrir à son fils une coûteuse opération lui permettant de ne pas subir la même maladie qu'elle. Louant une caravane de fortune dans un petit village américain aux vices insoupçonnés, Selma est bien loin du rêve coloré et idéalisé de l'Amérique au rythme des gracieuses comédies musicales. Les seuls moments de répit et de chants se situent lors des répétitions pour un petit spectacle organisé dans la ville. Sinon, ces moments de légèretés se situent à l'usine entres deux manœuvres, au risque de s'attirer les foudres du directeur. Il faut dire que si sa fidèle amie Kathy (Catherine Deneuve) n'était pas là, Selma se serait déjà envolée loin des hommes et de la dureté de la vie.


Mais les USA n'est pas un pays de la prospérité éternelle où la joie et l'amour absorbent le cœur des protagonistes. Les soucis d'argent avec toutes les affreuses retombés suivants le pas, sont des chutes incontrôlables qui amènent inévitablement les humains à revoir leurs morales aux prix de l'amitié et de la compassion. Dancer in the Dark projette aussi la question de l’exploitation des plus faibles et la peur des communistes et de l'étranger en général. Les quelques scènes musicales donnant du son et de la clarté à un sombre film sont comme des moments de pur évasion où évidement, la légèreté n'y est qu'imagination. Ce sont surtout ces regards scrutés de A à Z par la caméra de Lars von Trier qui passionnent. Ces regards sont comme conscients de la situation mais acceptent pleinement et instinctivement la réalité destructrice, injuste et horrifique.


Il est loin le temps des comédies musicales de Jacques Demy où l'amour, la joie et la fête rythmaient les danses d'une Catherine Deneuve bien plus jeune. Au-delà de maltraiter le rêve américain, Dancer in the Dark maltraite celui du genre musical. Mais dans un sentiment purement personnel, il faut avouer que je vois à travers le film de Lars von Trier une certaine forme de facilité. En effet, j'eu déjà ressenti cette sorte de ''décontraction scénaristique'' avec La Chasse de Thomas Vinterberg : l'idée de prendre un personnage bienveillant, ouvert et profondément respectable pour lui faire vivre les pires atrocités et injustices sociales. C'est à la fois véritablement intéressant et passionnant, et en même en temps assez facile. J'avoue être au cœur d'un grande contradiction sur ce niveau là. Je dois reconnaître aussi le manque de beauté concernant les scènes musicales. Que cela soit du coté de la musique ou de la réalisation de von Trier identifiée par une centaine de caméras, ces scènes de danses et de chants peinent cruellement à attirer une certaines forme de ma sympathie tant elles manquent de soin.


Reste que Dancer in the Dark est une oeuvre qui marque et amène son spectateur à ne pouvoir décrocher ses yeux d'une sorte de mise à mort consciente et réaliste d'un être aspiré depuis si longtemps dans l'inarrêtable machine de la société moderne.

RemiSavaton
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2000

Créée

le 14 mars 2020

Critique lue 523 fois

Rémi Savaton

Écrit par

Critique lue 523 fois

D'autres avis sur Dancer in the Dark

Dancer in the Dark
Architrave
10

De battre mon coeur s'est arrêté.

If living is seeing, I'm holding my breath In wonder, I wonder, what happens next A new world, a new day to see... C'est sur ces dernières paroles de Björk que je quitte la chambre de mon frère. Le...

le 28 janv. 2012

86 j'aime

3

Dancer in the Dark
Samu-L
3

Les sirupeux commencent à nous les engluer

Ah Dancer in the dark! Dégoulinant de pathos, et forcément pathétique de bout en bout (vous avez remarqué que c'était la même racine). Lars Von Trier passe son film a essayer de nous faire pleurer et...

le 25 août 2011

75 j'aime

76

Dancer in the Dark
Krokodebil
10

Selma in the Light

Prologue : sur une musique instrumentale romantique et très belle défilent des toiles abstraites et colorées. Courte scène qui fait office de sas, d'élément introductif dans l'univers particulier du...

le 13 janv. 2013

44 j'aime

10

Du même critique

Petite maman
RemiSavaton
7

Retour vers la mère

Petite Maman, le dernier film de Céline Sciamma présenté à Berlin en début d'année prolonge la ligne dans laquelle la cinéaste est surement la meilleure : son regard simple, et pourtant si beau sur...

le 2 juin 2021

7 j'aime

Viendra le feu
RemiSavaton
7

Ce n'est qu'une question de jours avant le drame

Oliver Laxe signe un film aussi poétique que dur, récompensé du prix du jury à ''Un Certain Regard'' lors du festival de Cannes 2019 ! ''Viendra le feu'' ou ''O que arde'' en version original,...

le 10 sept. 2019

7 j'aime

Days
RemiSavaton
7

Les Feux de la rampe

Scruter la monotonie du réel et du quotidien pour en apprécier encore plus la surprise subite, le geste d'une beauté rare qui d'un coup, tord la ligne droite de la vie. Days de Tsai Ming-liang est un...

le 12 sept. 2020

6 j'aime