Une fois de plus, les Américains ne peuvent s'empêcher de spolier une oeuvre étrangère, et une fois de plus, ils ne peuvent s'empêcher de la traîner dans la boue.
Lorsqu'on interprète une oeuvre, le problème n'est pas d'en changer l'histoire ou les intentions, mais de reprendre son concept initial et de lui donner un sens nouveau, soit en le recontextualisant, soit en créant de nouveaux enjeux. À ce titre, ce Death « Netflix » Note opère des choix judicieux, même s'ils n'auront pas nécessairement plu aux fans du Death Note originel (dont l'adaptation live, il faut bien le reconnaître, n'était pas exceptionnelle).
Tout d'abord, Light n'est pas un génie... certes, il semble se débrouiller à l'école, mais il n'a rien d'exceptionnel : il est impulsif, ne planifie strictement rien (ou presque) et n'a donc aucune stratégie. Le personnage de Mia, à la place de Amane Misa, est intéressant puisque c'est elle le véritable cerveau et c'est aussi elle qui motive Light. Le fait de les avoir fait fonctionner en duo dès le début et de créer une tension entre eux crée une bonne dynamique au récit. D'un côté, Light dépassé par les événements et, passé l'euphorie de la découverte, réticent à asseoir son pouvoir à travers le Death Note, de l'autre, Mia prête à tout pour façonner le monde à son image.
La relation entre les deux personnages a néanmoins une grosse faiblesse. Si l'on comprend que Mia est véritablement amoureuse de Light, on en vient parfois à se demander pourquoi. La seule initiative de ce dernier est de montrer le Death Note à Mia pour faire son intéressant (et la séduire), à aucun autre moment ne semble-t-il être autre chose qu'un ado paumé et fade qui veut « tuer les méchants » pour que les « gentils » (comprendre : lui) puissent vivre paisiblement sur Terre. Mia, elle, a véritablement une vision et assume totalement le fait de vouloir devenir une déesse de la mort qui apporterait la Justice sur le monde. Ryuk ne s'y trompe d'ailleurs pas lorsqu'il dit – pratiquement au début du film – qu'il « l'aime bien », suggérant même qu'il la préfère à Light.
Et c'est là que le film montre sa première grosse faiblesse : avoir fait de Light un personnage presque secondaire pour mettre Mia en valeur aurait été intéressant... si la démarche avait été assumée. Au contraire, on préfère se concentrer sur un Light mollasson et franchement ennuyeux plutôt que d'admettre que l'héroïne est en fait Mia. D'ailleurs, pourquoi Ryuk choisit-il de donner le Death Note à Light ? Au final, s'il ne l'avait pas poussé à utiliser le livre, il ne se serait probablement rien passé tant Light semble hésitant, sinon réticent. Il eut été plus pertinent que Ryuk laisse tomber le Death Note au hasard (comme dans le manga), que Light le récupère pour que ce soit finalement Mia qui s'en serve réellement en manipulant Light. Un tel retournement aurait en outre permis d'assumer totalement l'éloignement de l'histoire d'origine en choisissant de raconter l'histoire de Mia, et non celle de Light.
Il est également étrange que Ryuk soit à ce point interventionniste – en disant à Light qu'il doit utiliser le Death Note et en lui indiquant comment s'en servir – tout en conservant un semblant de neutralité quand cela arrange le scénario. Encore une fois, que Ryuk reste spectateur ou décide d'être acteur, les deux idées sont intéressantes, mais le film préfère ne prendre aucune direction, confinant son scénario à l'arbitraire.
Quant au personnage de « L », il n'a de « meilleur détective du monde » que le nom tant ses « déductions » tombent de nulle part. À sa décharge, si les scénaristes ne lui soufflaient pas les réponses, il serait bien en peine de comprendre quoi que ce soit puisqu'à la différence du manga, Light ne décide pas de laisser mourir ses victime d'une crise cardiaque qui donne aux exécutions un caractère presque « divin » et soutient beaucoup plus facilement l'idée d'une personne dotée de pouvoirs surnaturels (ce que le Light du manga d'origine cherche très précisément). Ici, les exécutions sont mises en scène, la plupart des victimes semblent mourir par accident, certaines écrivent le nom de « Kira », mais ce qu'en déduit l'ensemble des enquêteurs, parmi lesquels « L », c'est que quelqu'un a des pouvoirs surnaturels et qu'il est lié à la police de Seattle (ben oui, c'est forcément une quelconque police locale des USA qui détenait des informations ultra-secrètes sur des Yakusas basés au Japon). Là où n'importe qui chercherait à rationaliser les faits en partant du principe qu'il y a une organisation occulte opérant entre autre au sein de plusieurs polices à travers le monde, on préfère d'emblée opter pour l'explication la moins plausible ! Et les déductions de « L » continueront de s'enchaîner sans la moindre crédibilité tout au long du récit, jusqu'au moment fatidique où il rencontrera Light, où ce dernier lui fait presque des aveux... ce que « L » ne semble même pas relever ("meilleur détective du monde", on vous l'a dit!).
Autre regret, le film élude complètement la seconde grande thématique du manga d'origine : l'ennui. En effet, si Ryuk décide de foutre le bordel en balançant un Death Note dans le monde des humains, c'est parce qu'il s'ennuie, si Light décide de transformer le monde et se met en compétition avec « L », puis « M », c'est parce qu'il s'ennuie, et si « L »traite ses enquêtes comme des jeux sans toujours se soucier d'éthique, c'est également parce qu'il s'ennuie. Outre les évidentes réflexions sur la peine de mort, ce que l'oeuvre originale nous montre, c'est que si les gens sont parfois poussés à commettre des actes terribles, ce n'est pas tant en raison d'un traumatisme quelconque, de la folie ou d'un simple désir de pouvoir, mais parfois simplement par ennui. Cette thématique ne ressort pour aucun personnage, si ce n'est peut-être Mia (surtout par suggestion), ce qui diminue encore la force des enjeux de cette adaptation « Made in Netflix ».
Quant au dernier acte, si la course-poursuite entre Light et « L » est sympathique à regarder (malgré son montage sur-découpé), et si Light se montre enfin un peu stratège (bien qu'il ait eu l'intelligence d'une amibe jusqu'ici), il est décevant de voir la mort du seul personnage que l'on ait réellement envie de suivre (Mia, donc)*. Enfin, on nous prépare timidement à une suite qui, comme l'oeuf de lézard à la fin du Godzilla de 1998, sera très probablement avortée.
Bref : on retiendra la scène d'introduction de Ryuk (que vous aurez probablement vue dans les bandes-annonces) et le design de ce dernier, assez réussi. Pour le reste, il ne s'agit que d'une histoire bancale, aux enjeux inexistants et filmée de manière tout à fait quelconque.
*Non, ne criez pas au spoiler, vous n'avez de toute façon aucune intention de voir cette bouse, n'est-ce pas ?