[ Sixième festival de cinéma de Valenciennes, samedi 19 mars 2016 ] avant-première de Demolition, le dernier film de Jean-Marc Vallée, qui m’avait par le passé époustouflé avec son Dallas Buyers Club. Première fausse note : Naomi Watts n’est pas ma voisine, soit, passons.


Tout commence sur un air de Chopin. La Nocturne opus 9 n°2 de mémoire. En voiture. New-York City. La femme conduit. Puis le drame. Et le deuil. Ou plutôt le «déni de deuil» qu’éprouve David Mitchell, jeune investisseur travaillant dans la finance, incarné par un Jake Gyllenhaal loufoque au possible, tantôt blême tantôt badin. L’œuvre s’émancipe rapidement du ton dramatique initial pour laisser place à des scènes teintées de désinvolture, de fantaisie et de poésie ponctuée de violences. Le jeune veuf ne ressent aucune émotion suite à la disparition de son épouse. Plutôt que de se morfondre et broyer du noir, il écrit une ribambelle de courriers - pour un paquet de M&M’s coincé - à la société propriétaire du distributeur de l’étage soins intensifs de l’hôpital dans lequel sa femme a été prise en charge. Il lui prend la manie de tout démonter – porte des toilettes sur son lieu de travail, cafetière à 2000$, ou réfrigérateur. Comme si Davis essayait de décortiquer physiquement des choses pour comprendre leur fonctionnement, d'une même manière qu'il éplucherait matériellement ses émotions et désagrégerait ses sentiments. L’étape suivante se fait plus véhémente, par une déprédation et un vandalisme à coups de masse et de bulldozer. Une autodestruction organique et psychologique qui s’extériorise en réaction à cette annihilation émotionnelle. Quel peut en effet être le remède d'une non-affliction face à la perte d’un être cher, que l'on n'aimait finalement pas. La piqûre de douceur et de simplicité s'appelle Karen Moreno (Naomi Watts), une employée au SAV de la société des distributeurs. Se dessine alors le retour à un quotidien plus simple, plus élémentaire, un retour aux choses primitives de l’amitié, de l’amour, de la vie. Pour reprendre naïvement la formule consacrée d'Antoine de Saint-Exupéry, «on ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux». Le choix d’une vie de bohème et d’insouciance, rythmée de ballades sur la plage ou sur les aires de jeux de Coney Island, acheter de la marijuana et tirer avec une arme, habitudes à mille lieues de la routine du financier qu’il fût, de son ancien cadre de vie, de sa maison d’architecte. L’essentiel réside ailleurs. Démolir son ancienne vie pour se réinventer. Au revoir les cloisons de baies vitrées, Davis est passé de l’autre côté du paysage, là où le soleil brille et les enfants courent. Une transition vers un autre mode de vie, une vie de bohème disais-je, en réponse non-conformiste à une existence toute tracée – femme, maison et carrière parfaites. Victor Hugo disait à ce propos que « le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre », Davis l’a semble t-il entendu. Le réalisateur québécois utilise ce magnifique carrousel poussiéreux et cassé d’un vieux hangar désaffecté, pour matérialiser en quelque sorte le cœur de Davis, ce même carrousel dont la première volonté était de le vouer à une sauvage demolition, mais qui en définitive reprendra du service. La photographie semble soignée. Vallée nous offre un hymne à la légèreté mais ne parvient pas totalement à convaincre. Le rythme paraît relativement lent, et dilue une sensibilité perceptible mêlant le drame à l’humour, parfois avec artificialité. Le moment-ciné reste somme toute agréable. La bande-originale revêt une importance significative dans la trame et le parcours de Davis : la vie sophistiquée puis la bohème. Tout commence sur un air de Chopin, tout finit sur un air d’Aznavour.

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le 1 avr. 2016

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Palatina

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