C'est amusant de voir l'évolution de Bigelow au travers de sa carrière. Au point de se dire que son mariage avec Cameron qui a eu lieu dans les années 90, n'aurait jamais pu tenir. C'est idiot ce que je dis, n'empêche qu'il aura fallu du temps pour que la belle femme se détache de Jimbo, s'oriente vers un cinéma plus réaliste, plus brut et délaisse les fonds bleus ainsi que les courants marins.
Je n'ai pas encore vu "The Hurt Locker" (ou peut-être je ne sais plus) ; j'ai en revanche vu "Zero Dark Thirty" que j'avais trouvé intéressant. Lorsque j'ai vu la bande annonce de "Detroit", je me suis dit : 1) ho non, Bigelow est en train de s'enfermer et 2) ho non, on dirait un film choral qui va parler pendant deux heures des émeutes. Je n'étais donc pas très chaud. Mais voilà, Bigelow est une cinéaste super intéressante, elle a fait par le passé de très bons films et la voir poursuivre son évolution a de quoi faire saliver. Surtout qu'elle parvient à faire parler d'elle malgré des films pas très vendeurs.
Et ben c'était pas mal. Le début est un peu longuet et m'a conforté dans l'idée d'un film choral. Sauf que c'est prenant, les auteurs allant à l'essentiel et décrivant efficacement l'ambiance paranoïaque de l'histoire. Et puis, petit à petit, pour mon plus grand plaisir, les auteurs vont recentrer leur récit sur un motel, un interrogatoire musclé et réalisé loin de la légalité ; je ne m'y attendais pas et c'est tant mieux (comme quoi il y a encore de l'espoir dans le monde des bandes annonces). Le récit est prenant, les personnages révèlent leurs traits de caractère au travers de l'action, les situations sont bien menées et on sent cette volonté d'aller au bout de l'idée. Même le moment où il faut rendre des comptes est prenant. Là où ça devient moins bon, c'est lorsqu'il s'agit d'amener une fin, notamment au travers du point de vue du chanteur, dont on se fiche un peu durant une grosse partie du film. D'ailleurs on ne peut s'empêcher de pousser un rictus lorsqu'on le vois au procès, ce qui est un peu perturbant, parce qu'on se sent complice avec le méchant flic qui lui aussi sourit en le voyant... sauf qu'on ne sourit pas réellement pour la même chose... mais bon... disons que cette fin un peu misérabiliste et puis salvatrice est un peu trop facile et hors contexte, il aurait été plus intéressant de suivre le gardien. Surtout quand on apprend ce qu'il lui est arrivé par la suite durant le générique et puis aussi parce que c'est un des personnages les plus intéressants du film et qu'il aurait été plus judicieux de traiter sa psychologie après ces événements. Soit.
La mise en scène est très plaisante : il y a ce côté brut et pourtant si maîtrisé de Bigelow qui happe le spectateur. La caméra épaule et le montage nerveux rappelle le documentaire sans pour autant tomber dans l'impro dénuée d’esthétique : c'est beau à regarder et c'est lisible du début à la fin. Mieux, la réalisatrice parvient à créer une ambiance étouffante, notamment grâce à la mise en contexte du début, mais simplement avec un bon sens du rythme et de l'image. Les acteurs jouent tous très bien, apportent des petites choses subtiles à leurs rôles. Le travail du son passe inaperçu, ce qui est, à ce que l'on dit, un gage de qualité ; quelques petits passages où cet élément renforce le côté paranoïaque mais il est vrai que j'attendais un travail sonore un peu plus poussé, de la même manière que la réal ne va pas avec le dos de la cuillère en ce qui concerne les images.
Bref, ce film est assez plaisant à regarder même si je regrette cette fin un peu facile (à croire qu'ils ne savaient pas trop comment terminer tout ça).