J’ai regardé ce film pour de mauvaises raisons. Il me restait 2 heures de trajet en avion et ce long métrage faisait 1h35. C’était ça ou deux croûtes.
En voyant Marion Cotillard en tête d’affiche, j’aurais pu me replonger dans mon bouquin. Le synopsis n’a rien non plus pour présager un moment de franche déconnade.
Sandra n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail.
Mais les frères Dardenne font un cinéma qui me fascine. Car je ne considère pas non plus le cinéma juste comme un divertissement.
Et enfin, parce que Marion Cotillard interprète beaucoup mieux la mort sociale, que la mort tout court. Je dois avouer un certain respect pour elle dans ce film. Car après avoir côtoyé Hollywood, elle joue là un personnage d’une saisissante banalité, engluée par sa dépression, mue par la combativité d’une huître. Cette apparente simplicité n’est pas pour autant une facilité d’acteur.
Là d’ailleurs réside la force et l’originalité des frères Dardenne. Ils filment l’avant et l’après des scènes, les moments forts (la rencontre avec Timur, l’entraîneur de foot est très touchante), comme les faibles. Les saisissants, comme les ennuyeux. Les dialogues sont sans artifice. On oublie les champs contrechamps, juste des gens face à face, un seul plan, un cadrage un peu large. Et là réside finalement l’originalité de ce cinéma. Nous avons aujourd’hui l’habitude d’enchaînements de plans savants, millimétrés. Là, tout est brut, direct. Et nous n’avons moins l’habitude d’une approche si frontale.
Sur le fond, le principe du film repose sur le 12 hommes en colère de Sidney Lumet. En version pauvre, tant sur les personnages que sur la forme. Un jury décide ici de la mort sociale d’une personne, il faut les convaincre du contraire. Sauf que là, les jurés sont des collègues, des gens sans le sous, englués dans leur propre galère. Il n’y a là pas de jugement, juste un enchaînement de rencontres. A la rigueur, pouvons-nous nous demander quel choix nous ferions.
Il est saisissant de voir que le destin de cette femme se joue sur le pas d’une porte. La force du film n’est pas dans le dialogue, mais plus dans son absence, dans les silences et les refus. Et aussi dans cette rencontre avec les autres, les conjoints et les enfants, eux aussi touchés par ce choix cornélien. Le spectacle est face à une violence sourde, gênée, où renoncer à sa vie sociale consiste à renoncer à la vie tout court.
Ce combat est d’autant plus violent que Sandra se bat pour récupérer ce travail qui l’a fait sombrer, un retour aux racines du mal aussi nécessaire que désespérant. Sauf qu’au final, tout l’intérêt de ce combat est le combat lui-même. En plongeant dans les profondeurs de son malaise, Sandra réapprend à se battre, à s’interroger, à trouver sa place, en tant que travailleur/citoyen (de la manière où l’on défend son innocence présumée, elle défend sa productivité présumée), amie, épouse et mère.
Face à l’inhumanité d’une entreprise parmi d’autre, la plus grande victoire est de dire :
Je suis heureuse (Sandra)
Ce film aurait peut-être mérité plus qu’un 6, mais je ne cacherai pas que je me suis ennuyé plusieurs fois. Oui, vraiment, la révolution n’est pas un dîner de gala.