La jeunesse a toujours été un thème de prédilection pour Cédric Klapisch, qui en a souvent salué la fraîcheur insolente (Le Péril Jeune) ou les chemins de traverse dans un monde en voie d’uniformisation (Chacun cherche son chat, et, dans une certaine mesure, la série de L’Auberge Espagnole).


Voir un soixantenaire évoquer la génération des trentenaires pourrait paraître saugrenu, car la génération qui les sépare a tout du gouffre : c’est de cet écart que Deux moi trouvera sa tonalité, mais aussi ses maladresses.


Portrait croisé de deux anonymes dépressifs dans la capitale, le récit n’affiche aucune ambition novatrice, lui préférant la justesse de ton, épaulée par deux comédiens touchants et authentiques. François Civil est particulièrement talentueux dans l’incarnation de la maladresse, dans une gaucherie existentielle qui le voit de cogner doucement aux obstacles avec des excuses marmonnées, tandis qu’Ana Girardot reste un peu plus prévisible dans un rôle qui lui laisse moins de marge de manœuvre.


Le parcours de ces âmes solitaires (on pense souvent aux Heures souterraines de Delphine de Vigan, en moins pathétique) dans une ville anonyme est le point fort d’un récit qui ose prendre son temps pour épaissir l’isolement, les petites quêtes et la construction des angoisses dans le rapport à l’autre. La pauvreté de certains échanges prend ainsi du sens, notamment dans les premières séances croisées avec les psy qui semblent, au départ, des caricatures proposant des formules toutes faites ou des questions ouvertes qui ne mènent à rien, tandis que les amies ou la famille n’offrent que vanité ou silences pesants de leurs côtés.


C’est là le point de bifurcation assez singulier du film : en embrassant deux thématiques particulières, Klapisch opère une distance générationnelle patente avec son sujet. Lorsqu’il aborde la question des réseaux sociaux, il évoque des trentenaires qui semblent découvrir pour la première fois l’existence de Facebook (l’occasion d’une satire très drôle de retrouvailles embarrassantes avec Pierre Niney) ou des sites de rencontre, comme s’ils n’étaient pas nés avec des écrans sous les yeux. Cette maladresse se poursuit dans des démonstrations assez didactiques sur la pauvreté des accumulations d’expériences amoureuses qui ne sont pas de l’amour (sans blague ?), proférées notamment par une psy (Camille Cottin, royale, qui soignerait toutes les âmes blessées de la capitale) qui mène au deuxième sujet du film. Ces longues séances (avec, en miroir, François Berléand tout aussi magnétique et juste) où les jeunes tâtonnent, se cherchent et construisent du sens, reviennent sur des épisodes que le spectateur a vécu avec eux combinent une certaine pesanteur alliée à un charme proprement d’un autre âge, convoquant la génération des Bergman ou Woody Allen, où le psy délivre des vérités foudroyantes et le patient fait remonter à la surface du conscient des traumas qui feront sauter les verrous de sa vie.


On pourrait donc résumer méchamment le film en le qualifiant de portait de jeunes par un vieux à côté de la plaque, mais doté de bonnes intentions. Ce serait néanmoins assez injuste, car en dépit de certaines lourdeurs (dont ces rêves franchement dispensables), Klapisch ne faillit pas dans son ambition on ne peut plus sincère, à savoir regarder en face les nouvelles tessitures de l’ultra moderne solitude.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 30 janv. 2020

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Sergent_Pepper

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