Paris s'éveille, et les consciences qui le régissent, pas suffisamment.

Pour les cinéastes, la Grande Guerre n'est pas celle de 1914-1918. Ils s'y intéressent rarement et la négligent au profit d'un troisième Reich revanchard et persécuteur. Sans doute est-il plus sensationnel et plus lucratif.

Il faut sauver le soldat Ryan, La vie est belle, La rafle, La liste de Shindler, Le Dernier Metro, Elle s'appelait Sarah...Tous ces long-métrages larmoyants et en surnombre peuvent provoquer l'indigestion. Si ils sont pour la plupart réussis, ils se bornent à retranscrire des alliés innocents face à des Allemands inhumains. Quid du traité de Versailles de 1919 imposé par les vainqueurs et ayant gangrené toute possibilité d'apaisement avec les vaincus. Motus et bouche cousue sur l'admiration des élites européennes et américaines pour Hitler durant les années 30.

Tous ces réalisateurs naïfs ou amnésiques fourvoient. Les crimes commis par la Waffen SS et leurs associés sont ignobles, stupides et racistes. Mais leurs auteurs, bien qu'ils soient de féroces nazis, demeurent humains. Les bienveillantes de Jonathan Littell le confirme. Ils étaient des meurtriers le jour et des pères aimants le soir. Les mettre à part est une erreur réconfortante et facile. Ils ne sont nullement éloignés de ce que nous sommes, et c'est en cela que cette page de l'Histoire est la plus terrifiante.

Avant Diplomatie, des extraits du Garçon au pyjama rayé, du Pianiste ou même de la Chute mettaient discrètement ce fait en lumière. L'oeuvre de Volker Schlöndorff tente de l'accentuer et c'est pourquoi, bien que moyenne, elle mérite d'être vue.

Ici, il n'y a pas de mise en scène manichéenne exploitant un son THX, des exécutions racoleuses et des explosions tape à l’œil. Elle s'articule simplement autour de deux hommes divisés à la veille de la libération de Paris, dans la suite d'un hôtel assiégé. D'un côté, la réalité du Général Dietrich Von Choltitz, haut rang du corps militaire Aryen et prussien passionné, recevant l'ordre de rayer Paris de la carte. De l'autre, le Consul Raoul Nordling, diplomate neutre et amoureux de la ville lumière, qui va s'efforcer d'empêcher sa destruction. Il n'a qu'une seule arme : la rhétorique.

Avec un Niels Arestup implacable et un André Dussolier mélancolique, ce huis-clos malgré un casting titanesque et un synopsis audacieux perd vite de son piquant. D'abord à cause de sa durée extrêmement éloignée des faits réels dont il s'inspire. 1H24 pour résumer une nuit raccourcissant elle-même de longs mois de correspondance, c'est peu. Trop peu. Ainsi, ce fidèle du Führer donne le sentiment de lâcher prise trop rapidement et sans véritable événement perturbateur. Celui avancé par le film parait mince, bâclé et sans recherche.

Le dialogue engagé, même si il dissémine des pistes de réflexion intéressantes, manque de profondeur et ne va pas au bout de ses ambitions. Quitte à romancer et à réinterpréter un événement au service d'une idée, autant y aller à fond. L'affrontement s'achève en laissant la triste impression que le spectateur lui-même aurait pu convaincre Choltitz de tourner les talons. Un peu de bon sens bon sang, ses convictions sont l'aboutissement d'années entières dédiées à l'édification du nouvel aigle impérial.

Il faudra se contenter de petits retournements de situation, malins mais trop rares, où le militaire va par exemple rappeler à son opposant que si il se dresse pour Paris, il ne s'est pas indigné de la même façon lorsque Hamburg a été rasé par les alliés.

La déclaration d'amour faîte à Paris est par ailleurs quelconque et effroyablement niaise. D'autre part, ce drame dévoile quelques ratés de réalisation avec des séquences d'archives hasardeuses et une voix off qui introduit mais ne conclut pas.

Pour autant, cette pellicule fait date et doit encourager les créateurs du 7ème art à suivre sa voie.

En dépit de sa timidité handicapante, Diplomatie parvient à transmettre l'idée que ces deux héros diamétralement opposés, veulent la même chose et partagent une sensibilité humaine. Celle de protéger ce qui leur est cher sans sacrifier leur identité.

De la vraie diplomatie.
JulianDesjardin
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le 1 mars 2014

Modifiée

le 1 mars 2014

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JulianDesjardin

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