Si les pitreries des Avengers finissent par lasser film après film, les projets les plus enthousiasmants du Marvel Cinematic Universe restent ceux qui se situent en marge de ce grand capharnaüm et introduisent des personnages inévitablement rafraîchissants après une énième pérégrination de Tony Stark ou de Steve Rodgers. On pensera aux exotiques et déconnants Gardiens de la Galaxie ou à Ant-Man, agréable surprise malgré une inévitable frustration quant au départ d’Edgar Wright du projet.


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Doctor Strange emprunte une voie similaire en s’intéressant à un personnage relativement méconnu du grand public et au domaine de compétences unique dans l’univers Marvel. Pas de superpouvoirs ou d’armure bionique, il est ici plutôt question de magie, de mysticisme et de spiritualité. Le potentiel était là, hélas la machine Marvel reste ce qu’elle est et a un cahier des charges serré dont l’ambition cinématographique ne fait malheureusement pas partie. En témoigne le choix du réalisateur, Scott Derrickson, l’homme derrière le remake de Le Jour où la terre s’arrêta, un énième faiseur hollywoodien sans talent et sans doute incapable de livrer une vraie vision d’auteur sur un tel projet.


Le début du film parvient toutefois à susciter l’attention. Après une première scène d’action mettant en scène les possibilités de son univers, le spectateur est introduit au personnage de Strange, un docteur surdoué, arrogant et cynique dont la vie va être bouleversée quand un accident le prive du plein usage de ses mains. S’ensuit un schéma d’origin story superhéroïque on ne peut plus éculé (pas grand chose n’a changé depuis le premier Iron Man en 2007) mais exécuté avec un certain soin. Le film pose de vrais semblants enjeux dramatiques autour de la perte de facultés, hélas sacrifiés sur l’autel de la fluidité du récit. Cependant, la détresse et l’obsession de Strange restent crédibles, de même que sa relation plutôt compliquée avec le docteur Christine Palmer.


Le docteur s’impose comme l’un des personnages les plus intéressants développés au sein du MCU. Motivé par des desseins purement égoïstes, meurtri et confronté à un système de pensée opposée au sien, il amorce petit à petit une mutation mais sans jamais perdre son arrogance, son humour grinçant ou son obstination. La découverte du Kamar-Taj et de ses adeptes procure un vrai vent frais au récit à mesure que tout le potentiel de l’univers est dévoilé. On est bien entendu encore une fois en terrain connu, quelque part entre Matrix (le héros cartésien dont la perception de l’univers est soudainement chamboulée) et Batman Begins (l’origin story sur fond de temple tibétain) mais la recette fonctionne, et l’intérêt pour la progression du personnage autant que pour ses découvertes au sein des arcanes de la magie est maintenu pendant la majeure partie du récit.


On ne peut, accessoirement, que se réjouir que le film limite au maximum les références aux Avengers et s’autorise ainsi une vraie autonomie par rapport au reste de l’univers partagé, même si la scène post-générique nous rappelle avec amertume que Strange est désormais totalement assimilé à la machine infernale.


Les limites de Doctor Strange sont finalement celles de toutes les oeuvres récentes du studio : incapable de pousser ses ambitions jusqu’au bout, le récit se perd dans un dénouement des plus conformistes. Toute sa seconde moitié est portée par des enjeux dramatiques paresseux, les possibilités de l’univers magique ne sont qu’effleurées tandis que toute l’histoire ne se réduit finalement qu’à une énième lutte contre une entité intersidérale toute puissante. Le concept de l’ancien élève du mentor du héros désormais au service du mal n’est pas neuf non plus, et le film peine à exploiter tout le potentiel tragique d’un tel personnage. Tant de reproches coutumiers des productions Marvel mais d’autant plus regrettables quand les bases sont si réjouissantes.


Si le scénario du film voit ses ambitions brimées par le cahier des charges du studio, la patte visuelle du film parvient heureusement en partie à en rattraper l'écueil. L'univers de Doctor Strange offre des possibilités entièrement nouvelles au sein du genre, mises à profit par l'équipe en charge des effets spéciaux qui n'a apparemment souffert d'aucune restriction. Les meilleurs moment du film sont ceux où les délires visuels des équipes d’ILM sont poussés à leur paroxysme. On peut par exemple citer la “visite” des différents univers parallèles, véritable trip psychédélique d'abstraction de formes et couleurs. Ou encore cette impressionnante course-poursuite au sein d'une ville au relief complètement altéré, où bâtiments et rues se tordent et se replient sur eux-mêmes. De quoi satisfaire la rétine d’un spectateur de plus en plus blasé par les éternelles batailles finales sur fond de destruction de mégalopole et de bouillies d’explosions auxquels le studio nous a habitués.


Ces exagérations bienvenues suffisent à faire de Doctor Strange le film le plus le plus original et intéressant du MCU en terme de mise en forme pure. Il est d'autant plus dommage qu'aucun réalisateur compétent ne soit présent à la barre. La réalisation de Scott Derrickson correspond en effet à tout ce que les productions Marvel peuvent offrir de plus générique, entre action brouillonne et manque total de cohérence ou de pertinence dans les choix de cadrage et de découpage. Quelques plans tirent leur épingle du jeu mais l’ensemble demeure terriblement fade et incapable de porter comme il se doit un récit ne manquant pourtant pas d’arguments. On ne peut que regretter que le projet soit privé d’un vrai cinéaste, des metteurs en scène comme Sam Raimi ou Guillermo Del Toro, à l’aise avec le genre superhéroïque mais dotés d’une vraie patte d’auteur, auraient sans doute été à même d’exploiter au mieux l’originalité de l’univers et l’ambition des équipes techniques.


En dehors du rendu visuel, l’autre bon point du film vient du casting. Les Marvel récents ont cette tendance à rassembler une brochette d’acteurs de marque sans forcément leur faire honneur. Heureusement, ici tout le monde semble à sa place. Benedict Cumberbatch offre un très bon Strange, porté par le physique singulier et la voix imposante de l’acteur. Tilda Swinton est surprenante dans le rôle de l’Ancien, le mentor du Docteur à la fois sage, malicieuse et ambiguë qu’elle interprète avec un certain décalage. Enfin, le rôle du docteur Christine Palmer est confié à Rachel McAdams, dont la subtilité et la sensibilité aident à faire du personnage le “love interest” le plus empathique de l’univers Marvel. Le grand Mads Mikkelsen se débrouille comme il peut pour incarner le méchant Kaecilius mais n’est pas aidé par une écriture bateau et un maquillage ridicule. Chiwetel Ejiofor dans le rôle de Mordo aura quant à lui encore fort à prouver, surtout vu l’avenir que le studio semble lui réserver.


Doctor Strange appartient à cette catégorie trouble de films qui auraient tout autant pu être pires que bien meilleurs. Plus soigné et original que la (triste) moyenne des productions du genre, ses qualités sont hélas trop superficielles pour faire oublier sa nature de pure création de studio. Un divertissement un peu vain mais appréciable, qu’on savourera d’autant plus que la prochaine apparition du Docteur se fera sans aucun doute aux côtés des principales têtes d’affiche de l’écurie Marvel…

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le 12 déc. 2016

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Yayap

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