Les Portes de la Perception avec supplément ketchup

Bon, depuis un certain moment déjà, pour causer correctement d'un film de Super Héros, il faut causer du film, de son inscription dans l'univers étendu (et la cohérence du bousin), comparer les écuries Marvel et DC...etc.
C'est donc avec grand plaisir que j'ai accueilli le coté "ta gueule c'est magique" de Doctor Strange! Pas de question d'échelles de puissance, un petit pas de coté balayé vite fait de la main "les Avengers se chargent des menaces cosmiques, nous des menaces mystiques" et hop, le concours de bite est évacué, et c'est très bien comme ça.


Evacuons de la même manière les banalités d'usage :
Le film est imparfait, évidemment, et certains passages comiques faisant péniblement écho à Buster Keaton et Chaplin (avec moins d'élégance rythmique que les modèles, qu'ils soient originels, donc, ou plus contemporains, comme certaines scènes du second Pirates des Caraibes) sentent le forcé (par exemple les interventions de la cape, on l'on sent la volonté rocambolesque du comique de situation mâtinée d'un petit goût d'exploitation du filon Harry Potter), mais globalement, l'humour fait mouche, chose assez rare dans la ligne Marvel CU (à l'exception des Avengers où je me suis gentiment poilé).


Benedict Cumberbatch s'en sort malgré tout avec panache et justesse, Mads Mikkelsen un peu moins (en particulier lors d'un certain passage où ses yeux larmoyants ne sont pas en phase avec son impassibilité et où l'on se demande à juste titre s'il cherche à transmettre des signaux contradictoires ou si son rimmel lui coule simplement dans les yeux), mais tous deux restent malgré tout solides. Bon, je ne vais pas repasser le cast en détail, les trois rôles centraux tiennent parfaitement la route, le reste un peu moins, avec des hauts et des bas, des clichés plus ou moins bien gérés... (la pauvre Rachel Mc Adams ravalée au rang de faire-valoir, malgré sa performance en place, ou Wong en bon cliché monolithique pince sans rire (et sa retenue qui pue le fusil de chekov à ressort comique à plein nez...etc)
Bref, du pas mal.


On peut en dire autant de la trame centrale, éculée au possible mais toujours agréable, cet archétype du roman de formation, cette chute d'un "chirurgien arrogant qui avait tout pour réussir mais qui dans un terrible accident de voiture perd tout avant de renaître de ses cendres".
On a même droit au cliché : "la seule personne qui aurait pu l'opérer, c'était ... Lui-même".
Mais malgré tout, j'aime bien, les romans de formation, ça passe toujours bien chez moi. Un bémol cependant : on ne "ressent" pas vraiment l'évolution de Strange. On nous l'indique par des scènes clés, mais on n'a jamais l'impression qu'il vainc réellement, viscéralement ses démons, qu'il se dépasse. On nous le montre, on nous le dit, mais on ne le ressent pas.


Mais à l'évidence, focaliser là dessus, c'est peut-être aborder le film dans ce qu'il a de plus faible.


La véritable clé, la véritable audace de Doctor Strange est indiquée, une fois n'est pas coutume, par le caméo traditionnel de Stan Lee, en train de lire les Portes de la Perception de Huxley en se fendant la poire.


Et clairement, la force du film tient évidemment dans le spectacle qu'il offre, sa démesure jouissive, mais aussi dans la justesse avec laquelle il aborde les marges de la réalité, avec une volonté d'exactitude psychédélique qui tient sans peine le menton à Enter The Void de Gaspar Noé.
Que ce soit dans Huxley, chez Burroughs, Daniel Pynchbeck ou Terrence Mc Kenna, la première scène de "Voyage" du docteur puise avec justesse dans les récits de trip à la psilocybine, au DMT, Yage, Ayahuasca et autres hallucinogènes puissants, sans vergogne, avec des effets particulièrement en place, des jeux de fractales pertinents, voyage dans les dimensions cosmiques entrelacées étonnamment convaincants, bref, petite leçon de psychotropie à l'usage du chaland et du béotien, à peine déguisée.


Et mine de rien, c'est assez burné, comme démarche, quand bien même ce n'est pas revendiqué comme tel (on ne va pas trop en demander, quand même!)


Ce qui nous amène aux magnifiques scènes de démantèlement de la physique euclidienne, de dérives Esheriennes lors des affrontements épiques et vertigineux parfaitement maîtrisés.
Certains (beaucoup en fait) citent Inception, mais, quitte à citer Nolan, la scène du tessaract dans Interstellar me semble une inspiration plus directe de la plupart de ces éléments, ces fragments de réalité mis en branle dans des motifs extragéométriques, pur plaisir des sens et de la démesure mariant magie, culture psychédélique et concepts mathématiques (les géométries à N dimensions donc, comme le tessaract, figure célèbre élevant un cube (tridimensionnel donc) d'une dimension spatiale, donc un cube en quatre dimensions (spatiales, j'insiste!), dont on trouve nombre de représentations en mouvement sur Youtube et compagnie).


Bref, comme souvent, j'avais décidé de ne pas causer de ce film, d'autres s'étant chargé de la dimension cinématographique de la question avec brio, mais ce petit point me tenait à coeur.


C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup...etc.

toma_uberwenig
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le 3 févr. 2017

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toma Uberwenig

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